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La charpente et les premières chauffes

Il me faut tout d’abord démolir la cabane provisoire qui avait été bâtie pour abriter le four le temps de sa construction (tiens, il y avait longtemps que je n’avais rien démoli !). Fred et Thierry se portent volontaires pour m’aider. 

Il me faut aussi penser à la couverture qui sera bien évidemment réalisée en ardoises récupérées pour la plus grande part sur le four de Chauvignac. Sont-elles issues de la carrière d’Allassac ou de celle de Travassac (situées à 10 km l’une de l’autre) ? Je ne connais pas leur provenance exacte, mais elles viennent forcément de l’une des deux. 

Il faut savoir que depuis le XVIème siècle, notre Corrèze exploite ces deux gisements. Après avoir connu leur heure de gloire et employé plusieurs centaines d’ouvriers au début du XXème siècle, ces ardoisières ont commencé à décliner après la Deuxième Guerre Mondiale. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un seul exploitant de ces sites schisteux. L’ardoise de Corrèze (Travassac et Allassac) bénéficie d’une grande réputation : elle est imperméable, résistante au choc (grêle par exemple) et aux années (voire même aux siècles). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on la retrouve un peu partout en France (Abbaye du Mont St-Michel, Eglise du Sacré-Cœur de Rodez…) mais aussi tout simplement, et cela va de soi, sur les toits de villages comme Allassac, que ce soit en Limousin ou même en Auvergne. 

Revenons aux ardoises de mon four. Il me faut les trier, les retailler et les classer par longueurs. Attaquer ce nouveau travail là tout seul me fait un peu peur. Un jour de pluie (il faut dire que pendant ce mois de juin, il y a le choix !), j’invite Francis, mon « co-grand-père » de Samuel, qui possède un savoir-faire non négligeable dans ce domaine. Nous nous installons dans la grange et tout au long de la journée, j’essaie de m’approprier la technique de taille de ces ardoises. A la fin de la journée, le nombre d’ardoises taillées par Francis est plus important que le mien (et elles sont certainement mieux taillées…), mais je pense maintenant être capable de continuer seul. 

 

  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Le temps se remet au beau (enfin !) et je peux revenir à la charpente. Première opération : pose de la sablière. La sablière est une poutre de bois positionnée horizontalement et sur laquelle repose la charpente (on l’appelle ainsi car on la posait sur un lit de sable, qui en fuyant, permettait à la poutre de prendre sa place lentement). Quand il s’agit de murs droits, il suffit d’une pièce de bois droit. Dans le cas du four, le mur extérieur étant en demi-cercle, il me faudrait un morceau de bois lui aussi en demi-cercle et… c’est moins facile à trouver ! Encore une fois j’appelle au secours et mon frère Raymond me souffle une idée qui retient toute mon attention. Lui, l’éternel forgeron de formation et de talent, me propose de cintrer un profilé acier en forme de U selon le demi-cercle du four. Il faut savoir écouter les gens ingénieux et c’est donc ce que je fais. Je fixe ensuite à ce profilé des secteurs de bois qui composeront la sablière. Un coup de rabot sur le coté extérieur… et la sablière est devenue circulaire ! 

 

Tout en commençant la charpente, je peux décoffrer le linteau et l’arc de décharge, opération qui se déroule normalement. 

 

Mais très vite, je ne peux résister à l’envie d’allumer le feu dans ce four, puisque c’est quand même sa fonction première !!! Petite appréhension cependant… Pour cette première, je choisis donc un moment où le Boico est désert. Personne autour avant de craquer l’allumette… 

 

 Les premières flammes commencent à lécher la voûte qui très vite devient toute noire. 

  

 Cette première chauffe est dite de désenrhumage. Il s’agit de faire disparaître progressivement toute l’humidité contenue dans les différents matériaux. C’est une opération qui doit être rapide car délicate. Une chauffe trop importante pourrait en effet causer des dommages dans le four. C’est ainsi que durant une semaine, chaque soir, je fais une flambée, en augmentant à chaque fois l’intensité. Dès que la voûte commence à blanchir, je décide d’y faire cuire une première pizza. Il faut bien que ce four serve à nous nourrir, depuis le temps que je m’y casse la tête ! 

Je sais : mes grands-parents corréziens ne connaissaient probablement pas la pizza de Naples ! Mais cette pizza était à l’origine étroitement liée au travail du… boulanger napolitain ! Tout comme, d’ailleurs, la tarte flambée alsacienne ou flammekueche (qui remonte à l’habitude paysanne de faire cuire le pain tous les quinze jours ; ces jours étant jours de fête dans les campagnes alsaciennes, on étalait la pâte à pain qui restait et on la recouvrait de crème ou de fromage blanc, d’oignons et de lardons ; une fois passée dans le four, on la dégustait avec les doigts, moment de partage festif…). 

La pizza servait à vérifier la bonne température du foyer avant d’y déposer les pâtons à cuire. Elle permettait aussi de tirer parti des dernières braises et servait de repas à la famille du boulanger italien. C’est un plat qui nécessite effectivement une chauffe rapide, alors tant pis pour l’authenticité liée à mes ancêtres limousins ! Il n’en reste pas moins que flammekueche et pizza sont des plats du petit peuple qui permettaient à l’origine de ne rien gaspiller en utilisant les restes : retour au mode de vie, économe par nécessité, de mes aïeux ! 

Toujours très prudent, je choisis un moment où le Boico est encore désert. Loupé ! Par l’odeur alléchées, voici une dizaine de personnes qui débarquent pour assister à la cuisson de cette fameuse première pizza 

 

 Tout se passe bien, la cuisson est correcte et la pizza est excellente. Seul problème : la pizza, pour tout ce monde, est un peu trop petite ! 

 

Nouvelle chauffe rapide et autre essai de cuisson d’une pizza… Nouveau résultat encourageant. 

Deux ou trois chauffes de plus… Le four réagit bien et toute la voûte commence à blanchir. 

Mais pour utiliser mon four, il me faut les outils nécessaires… Lors de la démolition, j’avais récupéré le « reur » (racloir) de Chauvignac. Je me fabrique un « écoubié » (balai en genêts) et Francis me prête une « fourne » (pelle de boulanger). 

Petite explication sur le rôle de ces outils… 

Le « reur » sert à écarter les braises sur la sole pour avoir une température uniforme de cette dernière et à sortir braises et cendres du four en fin de chauffe. 

  

L’« écoubié » sert à balayer le four avant d’enfourner. 

 

La « fourne » sert à enfourner et à sortir tout ce que l’on peut mettre dans le four. 

 

Si ma mémoire est bonne, mon grand-père faisait cuire, en même temps que le pain, les pommes de terre à la « blao-blao » (pommes de terre coupées en tranches, lardons et ou chair à saucisse et persillade). Qu’à cela ne tienne : je me lance dans une chauffe devant aboutir à la température nécessaire à la cuisson du pain, mais, toujours prudent, je ne prévois pour cette fois encore que la cuisson d’un plat de pommes de terre à la « blao-blao »… préparation que, là encore, grande première, j’ai confectionnée moi-même ! 

Lorsque je pense que le four est assez chaud, je sors les braises, je balaie et teste la température à l’aide d’une feuille de journal tenue au bout d’une fourche. Cette feuille s’enflamme au bout de 30 secondes, ce qui veut dire que le four est un peu chaud pour du pain (à bonne température, elle doit seulement brunir sans s’enflammer). J’attends donc un peu, enfourne mon plat et deux heures plus tard, la cuisson est satisfaisante et tout le monde autour de la table se régale en dégustant cette vieille recette corrézienne. 

 

  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Trois jours plus tard, jour de 14 juillet, nouvelle chauffe ! Mais cette fois, avant de démarrer, j’ai réussi à convaincre Mado, mamie Léonie et Françoise de m’aider dans la préparation du repas. Je chauffe mon four et en teste la température avec la méthode déjà utilisée du journal mais aussi avec celle de l’épi de blé. Il s’agit là de planter un épi dans la fourne et de déposer le tout dans le four (porte ouverte, forcément !) durant environ une minute ; la couleur que prend l’épi est celle que prendra le pain à la cuisson (si l’épi noircit, il faut attendre quelques minutes et recommencer le test). Ces deux méthodes me révèlent une nouvelle fois que mon four est un peu trop chaud. Je le laisse donc refroidir un peu et commence la cuisson des différents plats en adaptant les temps de cuisson en fonction des conseils de mes cuisinières préférées. Ce jour-là, au menu nous avons : 

Saucisses cocktail en feuilleté 

 

Rôti de porc / pommes de terre à la « blao-blao » 

Clafoutis 

Croustillants (feuilles de brick) aux fruits rouges 

Tuiles 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       … Tout ceci, bien évidemment, cuit dans le four, et avec une cuisson tout à fait correcte. Même si je suis assez satisfait de ce que j’arrive à réaliser dans mon four, il me manque encore le plus important pour un four à pain : maîtriser la cuisson du… pain ! Promis, ce sera la prochaine étape… 

Chose promise, chose due… 

Puisque toute l’équipe me réclame du pain, un vendredi soir, je me lance enfin dans la préparation de tourtes. Je commence par une petite quantité de farine (c’est plus prudent !), un peu de levure de boulanger, de sel et d’eau. Je pétris l’ensemble. Le lendemain, je continue la préparation, sépare les pâtons et laisse lever (je donnerai la recette précise ultérieurement… si un jour elle est au point !). Pendant que le pain lève, j’allume le feu dans le four. Une heure et demie plus tard, il est chaud. Le pain, lui, n’a pas trop levé… Tant pis pour lui ! Je nettoie mon four, en teste la température… et enfourne mes premières tourtes ! 

Dix minutes plus tard, j’ouvre la porte et constate que le pain a pris une belle couleur dorée et suis rassuré sur la cuisson (de mémoire, lorsque le four est trop chaud, le pain brûle tout de suite). Je laisse s’écouler une demi-heure de plus et me dirige à nouveau vers le four pour effectuer un nouveau contrôle. 

Mais arrivé à quelques mètres, l’odeur émanant du four, la bonne et chaleureuse odeur du pain en train de cuire, me transporte une cinquantaine d’années en arrière… Et voilà que je me retrouve, gamin, devant le four de Chauvignac et devant « la fourniar » (le fournil). Mon grand-père est là lui aussi, assis, occupé à se rouler son immuable cigarette de tabac gris, son chien Tayaut à ses pieds. Je n’ai pas encore de montre, je suis trop jeune, mais il doit être environ dix heures et mon grand-père récupère de sa dure matinée. Il n’a guère plus de soixante ans, mais depuis l’enfance, il a toujours été frêle et de faible constitution (à 18 ans, lors de la déclaration de guerre en 1914 et alors qu’on envoyait en masse les hommes de tous âges au front, lui avait été réformé, c’est dire…). Mais cela ne l’a pas empêché de travailler dur toute sa vie comme fermier dans une importante ferme voisine. Et le résultat de son travail, il en est fier ! Il y a quelques années, ma grand-mère et lui ont enfin pu s’acheter cette petite ferme de Chauvignac, et maintenant, ils sont CHEZ EUX ! Comme j’y vais quasiment tous les jeudis (à l’époque, les mercredis étaient les jeudis…), il en profite pour faire le pain, parce qu’il a certainement déjà compris, lui avant tout le monde, mon attachement à ce four et à tout ce qui gravite autour (et dedans !). 

Ce matin donc, il s’est levé à cinq heures. Il a pris sa canne, sa casquette, ses sabots et s’est occupé de ses trois vaches (lo Bonou, lo Fauvette et Lo Roujo) ainsi que de sa dizaine de brebis. Puis il a pétri son pain (qu’il avait mis à lever la veille), a chauffé son four et y a enfourné ses tourtes. Alors qu’elles sont dans le four depuis une demi-heure, il me dit : « Vai dire ô to moair-grande de pourta lou clofoutchi » (Va dire à ta grand-mère de porter le clafoutis)… 

Cette voix familière issue de mon souvenir me ramène soudain en 2010… 

Après cet instant teint d’odeurs et d’un peu d’émotion, je contrôle à nouveau la cuisson de mon pain : cela me semble évoluer correctement. 

Une heure et demie après avoir enfourné, je sors mes tourtes. Leur aspect extérieur me paraît satisfaisant. 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Je les laisse refroidir et en tranche une pour en évaluer la texture de la mie : elle est assez aérée mais doit pouvoir l’être encore davantage. 

Le lendemain, je note que la croûte de ce pain a durci, ce qui signifie vraisemblablement que mon temps de cuisson a été trop long. 

Pour une première fournée, le résultat est cependant satisfaisant. Je constate aussi que les sceptiques du début de l’aventure se lèchent maintenant les babines et commencent à saliver à l’annonce des chauffes à venir ! 

Certains points vont malgré tout pouvoir être améliorés (préparation de la pâte et cuisson notamment). Mais j’ai déjà atteint mon objectif : faire du pain dans le four de mon grand-père ! S’il pouvait s’asseoir sur la margelle du vieux puits qui se trouve là, à côté de moi, il marmonnerait très certainement dans sa moustache grise quelque chose qui ressemblerait à « Si m’eperavo de cò ! Ché bè vécho mon drole… » (Si je m’attendais à ça ! Tu es bien canaille mon petit…). 

Après les émotions de la première fournée, il me faut continuer à progresser. Pour cela, le temps d’une matinée, je fais appel à Francis et Raymond, que j’ai d’ailleurs déjà sollicités plusieurs fois dans différents domaines. Ce sont des gars qui savent tout faire ! Donnez une tondeuse à gazon hors d’usage à Francis, il vous en fera un motoculteur tout neuf… Donnez un morceau de ferraille à Raymond, il le façonnera à volonté pour en faire l’objet que vous désirez. Quel lien avec le pain me direz-vous ?… Eh bien ces deux-là savent tout faire… Y COMPRIS LE PAIN A L’ANCIENNE ! Avec eux, mon rôle se limite à regarder et à noter leurs « petits trucs », les astuces qui font la différence. Résultat de cette matinée : à la sortie du four, le pain est excellent, juste un peu trop cuit, et moi, j’ai beaucoup appris. 

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Deux jours plus tard, j’essaie de mettre en application leurs enseignements et le pain que je réalise est tout à fait correct : la texture de la mie et la cuisson correspondent à ce que j’espérais depuis deux ans. Afin d’être plus sûr de moi, je fais une nouvelle fournée qui confirme ces bons résultats. Je me permets même de faire cuire deux « flammekueche » préparées par Sandrine qui est en vacances chez belle-maman, c’est-à-dire Mado. Pour cela, lorsque mon four est chaud, je rassemble les braises sur les côtés du four, et les fais cuire trois minutes, porte du four ouverte. 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  Maintenant que je maîtrise un peu mieux le sujet (et comme promis), je peux donner ma méthode (sachant qu’elle peut encore s’améliorer). Il me faut tout d’abord préciser que, pour en arriver là, j’ai investi dans une maie et un pétrin… Alors : 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            * Réveil à cinq heures (ah oui, c’est tôt, mais on est boulanger ou on ne l’est pas !). 

* Cinq heures et demie : je mélange au pétrin mécanique 5 kg de farine de blé T65 avec 3 litres d’eau tiède pendant 5 minutes. Puis je laisse reposer pendant 25 minutes dans le bol du pétrin. 

  

Je dissous ensuite 80 grammes de levure de boulanger et 100 grammes de gros sel dans 0,4 litre d’eau tiède, et j’incorpore ce mélange à la pâte en pétrissant pendant 10 minutes. 

 

Je vide enfin la pâte ainsi obtenue dans la maie et laisse lever pendant deux heures. 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                *Il est six heures et demie : je casse la croûte, je vais ouvrir les poules et, comme c’est l’été, je vais au jardin sarcler une rangée de haricots. 

* Huit heures : je bois un café, avant d’allumer le feu dans le four à huit heures et quart

* Huit heures et demie : avec l’aide de Françoise, je prépare les pâtons. Je confectionne des baguettes et des tourtes que je dépose dans les « paillassous » (corbeilles en paille et en ronce que j’ai dénichées dans le grenier de mamie Léonie).C’est d’ailleurs aussi mamie Léonie qui m’a cousu les « toyes » (carrés de tissu de 1m2) que l’on met dans le « paillassou » avant d’y déposer les pâtons. 

* Neuf heures : retour au four pour surveiller le feu. Les pâtons vont en effet lever à nouveau pendant une heure et demie avant d’être enfournés, il faut donc que le four soit chaud à dix heures et demie. Etant encore débutant, je surveille de très près le four. A l’aide du « reur » je remue souvent les braises et suis attentif aux changements de couleurs de la voûte. Le noir du début laisse progressivement sa place au blanc. Le blanchiment se fait de l’avant vers l’arrière. Lorsque la voûte est toute blanche, j’étale les braises sur la sole, les laisse ainsi une dizaine de minutes, puis les évacue vers l’extérieur. Je balaie la sole avec l’« écoubié » et teste la température à l’aide du journal (test déjà vu plus haut), auquel j’ajoute le test de la farine (montré par mon frère Raymond) qui consiste à jeter une pincée de farine sur la sole. Elle doit y brunir, tendre vers le noir mais sans fumer. Dans mon four, en général elle fume…et le journal s’enflamme ! Je dois donc le laisser froidir avec la porte ouverte, jusqu’à avoir un test satisfaisant. Je referme alors la porte et vais chercher les pâtons pour les enfourner. 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       * Il est dix heures et demie : l’équipe est maintenant renforcée par Mado et nous enfournons les tourtes puis les baguettes. 

 

Le four est refermé à onze heures moins le quart. Dix minutes plus tard, nous ouvrons pour vérifier que la cuisson se déroule normalement. J’en profite pour déplacer légèrement tourtes et baguettes, ce qui me permet de m’assurer qu’elles ne se sont pas collées les unes aux autres. 

Cinq minutes supplémentaires, et je sors les baguettes, ce qui fait pour elles une cuisson de quinze minutes. Avant de les sortir, je teste quand même la cuisson côté sole. Pour cela, j’utilise le test suggéré (voire imposé) par mamie Léonie : avec l’index replié on frappe le dessous des baguettes, comme on peut le faire à une porte avant d’entrer chez quelqu’un. Le pain, s’il est cuit, doit « campaner » (sonner le creux) ; sinon on doit prolonger la cuisson de quelques minutes. 

 

Quant aux tourtes, ce n’est qu’après un temps de cuisson de quarante minutes que je les sors. 

* Et c’est aux environs de onze heures et demie que l’équipe, renforcée par quelques membres de la famille et/ou amis de passage, se retrouve à l’apéro pour déguster des tranches de baguette encore tièdes, tartinées de rillettes d’oie… Et selon l’avis général, c’est un régal ! 

Confectionner tourtes et baguettes, c’est bien. Mais il faut aussi savoir se diversifier. 

Pour cela, une occasion se présente rapidement (mais il faut bien dire que je sais les saisir au vol, les occasions !). Marcel, un ami de la famille, vient de faire l’acquisition d’un jeune chien, un Braque bleu d’Auvergne nommé « Frac ». Danièle, son épouse (toujours à l’affût d’une idée et de saisir les occasions, elle aussi), propose d’organiser un baptême pour ce chien… chien dont je suis déclaré parrain, la marraine étant Mado ! Le baptême sera républicain cela va de soi, suivi bien sûr de l’inévitable repas de famille qui agrémente traditionnellement un tel évènement. 

 

 Le nombre d’invités s’élève à une quinzaine de personnes. Trouvant cet effectif raisonnable, je décide de me lancer dans la fabrication de pains individuels. J’en prépare donc quinze, sans en oublier un de plus pour mon filleul canin. Je confectionne aussi quelques baguettes qui, coupées en tranches, seront tartinées à l’apéro. 

 Je décide arbitrairement de cuire ces petits pains de la même façon que les baguettes : même position dans le four, même temps de cuisson… Je suis satisfait car, à la sortie du four, leur forme mise à part, ils ressemblent de très près aux baguettes (cuisson et texture de la mie). 

 

Autour de la table, après la cérémonie, tout le monde a l’air d’apprécier mes petits pains. Tout le monde ? Non. Frac ne s’en régale pas. Eh oui, j’avais oublié que les chiens d’aujourd’hui ne mangent plus de pain et qu’ils se nourrissent exclusivement de croquettes ! Il paraît que c’est meilleur pour leur santé, mais je soupçonne que ce soit là surtout le fait de fabricants et revendeurs qui y ont peut-être bien trouvé un filon pour s’engraisser… Les chiens mangent des croquettes ; nous, nous mangeons au « Maquedo »… Dans deux ou trois générations, chiens et hommes n’auront plus de dents, ils n’en n’auront plus d’utilité… Et mon four alors ? Que va-t-il devenir ? Enfin… 

Pour le moment, tout le monde en profite voracement et fait goulûment craquer la croûte de mon pain de coups de dents gloutonnes ! Et j’ai d’ailleurs bien l’impression que se trame au Boico quelque chose à mon insu : il flotte dans l’air, mais surtout dans mon dos, comme une sorte d’organisation d’inauguration de mon four… Que vont-ils me concocter ?… 

J’avais vu juste. Je suis informé par « SMS » que l’inauguration de mon four aura lieu le samedi 14 août, en début de soirée. On me laisse (presque) le choix des invités. Je décide, puisque j’en ai la liberté, d’inviter toutes les personnes qui m’ont aidé dans mon entreprise. Pour moi, « aider » s’applique à ceux qui m’ont aidé matériellement (le coup de main, le prêt de matériel ou le don de matériaux), ceux qui m’ont donné des conseils ou tout simplement ceux qui se sont intéressés de près à l’avancement de mon four. 

 

 

  

                                                                                                                                                                                                                                                                                              J’invite donc une quarantaine de personnes ; les trois-quarts répondent présents. Le quart restant n’est pas dans la région à cette date. Mais ceux qui ne pourront être là me contactent néanmoins pour me dire qu’ils regrettent de ne pouvoir participer à cette petite fête.

L’inauguration ayant lieu le samedi, dès le jeudi je commence à ranger un peu autour du four. Il me faut presque la journée pour évacuer tout ce qui s’est entassé autour du four après un an de chantier ! Il est vrai que le rangement et le nettoyage ne sont pas trop mon fort… 

Pour inaugurer un four à pain, le pain cuit dans CE four est l’élément indispensable. Mais comme un incident peut toujours arriver, dès le samedi matin, je fais une première fournée, que j’aurais en réserve pour le soir en cas de pépin ! En effet, même si j’arrive désormais à maîtriser la chauffe de mon four, ce jour-là, un nouveau paramètre va entrer en jeu : re-chauffer le four alors qu’il n’aura pas refroidi totalement… 

La soirée devant débuter à 19 heures, j’essaie d’avoir du pain prêt à enfourner et un four à température pour cette heure-là, sans oublier les flammekueches préparées par Sandrine. 

Vers 19 heures donc, alors que je m’active autour du four, mes invités commencent à arriver. Mais je suis très surpris de constater qu’il n’y a pas que MES invités qui ont répondu présents ! Parmi les arrivants, voilà que j’aperçois un boulanger d’Allassac, accompagné de sa famille. 

 

 Je ne me fais aucune illusion, s’il est là, c’est que les décideurs de cette inauguration l’ont secrètement invité… Un vrai boulanger professionnel va goûter mon modeste pain à moi ! Une fois la surprise passée, je suis à la fois très touché par sa présence, mais aussi un peu inquiet du regard spécialiste qu’il va poser sur mon pain et des remarques qu’il va faire… 

Lorsque le four est à bonne température, je commence par faire cuire les flammekueches, puis j’enfourne les baguettes. 

Pendant la cuisson, il faut couper le ruban (indispensable pour une inauguration, non ?). Deux personnes sont toutes désignées pour assumer cette responsabilité : Anaïs et Samuel, mes petits-enfants. Ils en sont tout aussi capables qu’un sous-préfet ou un quelconque autre ministre ou député… la sincérité en plus. 

 

Puis Danièle ne peut pas s’empêcher de nous chanter une de ses compositions. Elle a en effet adapté la chanson « Quand on n’a que l’amour » de Jacques Brel et voici ce que cela donne : 

  

« Quand on n’a qu’un vieux four 

Pour dernier héritage 

On l’emmène en voyage 

Un aller sans retour 

  

                                                                                                 Quand on n’a qu’un vieux four 

Parti de Chauvignac 

Refait à Allassac 

Pour qu’il revive un jour 

  

Quand on n’a qu’un vieux four 

Avec d’habiles mains 

Ou avec un pétrin 

Il fume chaque jour 

  

Alors sans avoir rien 

Qu’un vieux four déplacé, 

On savoure ce pain 

Au bon goût du passé » 

  

Le protocole improvisé se termine rapidement, car le pain est cuit et il faut le sortir du four ! Ceci est fait devant tous les invités, spectateurs mais aussi critiques (dans le bon sens du terme). Il s’ensuit une conversation très intéressante et je remarque avec plaisir que jeunes et moins jeunes, gens de la ville ou de la campagne, tous veulent comprendre la reconstruction de ce four et le procédé de cuisson du pain.

 

                                                                                                                                                                                                                                                Notre boulanger présent ce soir-là me donne bien sûr son avis sur la qualité de mon pain, mais me fait aussi part (avant de partir enfourner le sien aux alentours de 23h) de petites astuces, que je mets en application depuis. 

 

J’oubliais un détail. Avant d’enfourner, j’ai bien entendu sorti les braises du four. C’est alors que Franck (vous savez… l’ingénieur ingénieux) a récupéré la brouette dans laquelle je mets ces braises et s’est éloigné de quelques pas. Il a placé en travers sur cette brouette deux serre-joints de maçon… et y a fait cuire chipolatas et merguez !!! 

 

Nous avons aussi bénéficié d’un spectacle de cirque improvisé, avec ma petite-nièce Chloé au trapèze et Samuel jonglant avec des bulles de savon ! 

 

                                                                                                                                                                                                                                             Fidèles à nos traditions ancestrales, nous nous retrouvons tous autour d’une grande table pour déguster ce qui vient d’être cuit dans le four, agrémenté de produits AOF (rappel : Appellation d’Origine Familiale) tels que rillettes, jambon ou bien encore tomates du jardin.

 

                                                                                                                                                                                                                                             Etalant les rillettes sur sa tartine, Bébert (le maçon à la retraite de la famille) confie à Delphine, dans un grand sourire accompagné d’un clin d’œil rieur : « Et ben je pensais pas qu’il y arriverait… Je crois qu’il est un peu fou ton père… ». 

Ce soir-là, je suis heureux que le four de mon grand-père ait retrouvé sa vocation première, celle de REUNIR des êtres qui, l’instant d’une soirée, abandonnent TOUTES leurs différences, et ont TOUS un seul objectif, celui de passer un agréable moment, pendant lequel ils oublieront les misères, petites ou grosses, de la vie…

 

Après toutes ces émotions, il faut continuer le chantier ! En effet, même si le four est opérationnel, il faut penser à le mettre hors eau avant l’hiver. Le plus simple, c’est de continuer la charpente qui, il faut bien le dire, est au point mort depuis que le four est utilisable. Il semblerait qu’effectivement, on ne puisse pas être au four et au… faîtage en même temps !

La forme du toit étant définie, je traverse la route pour rendre visite à la scierie Gilibert et commander le sciage du bois nécessaire à la réalisation de cette charpente. Et je n’oublie pas de leur confier la réalisation des coyaux. Un coyau est un chevron taillé en biseau qui sert à relever le bord du toit.

   

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 Tout le bois brut pour réaliser cette charpente est du châtaignier fourni par mes soins et que j’avais pris soin de couper l’hiver dernier, dans un taillis de la famille, situé à côté du village de La Roche d’Allassac (au lieu dit La Brouillade).

Le débit du bois étant réalisé, je convie Fred et Thierry, et tous les trois, nous mettons en place cette charpente.

Le futur toit étant en ardoise du pays, sur cette charpente, il faut mettre la volige qui permettra de clouer les ardoises. On appelle « volige » des planches de faible épaisseur en bois blanc. Lorsqu’on a affaire à un toit rectangulaire, on utilise de la volige de 2 cm d’épaisseur, mais pour mon four et son  toit rond, il faut utiliser des planches de 1 cm d’épaisseur, qui permettront de donner un arrondi régulier au toit. Il faut en outre mettre en place cette volige tant qu’elle n’a pas séché…

Le choix de l’essence utilisée m’est dicté par Mamie Léonie. Notre Mamie, dont la maison d’habitation se situe à 150 m du four, ne supporte plus, à l’automne, les feuilles mortes qui tombent de ses peupliers et que le vent porte sur sa terrasse. Ne pouvant empêcher les feuilles de tomber et le vent de les transporter, la solution qu’il me reste est d’abattre ces arbres… et de les utiliser pour faire ma volige ! Le bois utilisé pour la charpente et la volige étant lui aussi une AOF (Appellation d’Origine Familiale), il a  donc bien sa place dans ce four familial !

Pour ne pas laisser le temps à ces planches de sécher, il me faut faire vite. Avec l’aide de l’entreprise d’exploitation forestière Lacombe, j’abats les arbres et transporte les grumes jusqu’à la scierie Estorges située à Sainte-Féréole, scierie qui va me faire le sciage. Toutes ces opérations sont réalisées dans la même semaine et, dès la semaine suivante, je peux commencer la pose de cette volige.

Pour cette nouvelle opération, c’est Fred qui m’aide. Le travail consiste à poser deux épaisseurs croisées… Vieille méthode pour faire un toit rond. En effet après la pause de la deuxième épaisseur, l’arrondi du toit est bien régulier.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Encore une fois, je n’ai rien inventé. J’ai fait appel à ma mémoire d’enfant et jadis, j’avais dû entendre décrire cette méthode, soit par mon grand-père paternel, soit par mon père. En effet, pour compléter les faibles revenus de la ferme, l’hiver ils se faisaient scieurs de long ou bien charpentiers. A moins que ce ne soit par le voisin de mes parents, Firmin, qui lui était couvreur (lui aussi en complément des activités de sa ferme).

Ce grand-père paternel, sacré Monsieur. Dix-neuf ans en 1914…Devinez où il passe les quatre années suivantes ? Verdun, le Chemin Des Dames ou autres lieux tristement célèbres à cette époque… Lui a de la chance : après quatre longues années passées au front, il revient en Corrèze à peu près indemne physiquement ; dans la tête, on ne sait pas car il fait partie de ces taiseux qui ne s’étendent pas sur bon nombre de sujets. Toujours est-il qu’à son retour dans sa petite ferme des Palisses, il comprend très vite que ce lopin de terre ne pourra pas nourrir longtemps sa famille. Ma grand-mère s’est très bien occupée de la ferme pendant son absence ; elle peut donc continuer. Lui ne sera désormais pas souvent là.

En effet, l’hiver, il devient scieur de long. Il faut savoir qu’à cette époque, les moyens de transport étant très rudimentaires, lorsque quelqu’un décide de construire un bâtiment, ce ne sont pas les arbres pour la charpente qu’on envoie à la scierie, mais une équipe de scieurs de long qu’on envoie sur place, sur le chantier.

Au printemps, il y a beaucoup de travail à la ferme : il y reste donc jusqu’au début du mois de juin. A cette période de l’année, il se contente de prendre son vélo, d’attacher sa faux sur le cadre… et le voilà parti faucher dans une grosse ferme de Donzenac, village voisin.

Début juillet, il est de retour à la ferme pour récolter les foins.

Mi-juillet, le voilà reparti avec son vélo et sa faux mais pour l’Auvergne cette fois, et ceci pour un mois.

De retour aux Palisses, il moissonne le peu de blé, d’avoine ou de blé noir qu’il avait semé.

Nous sommes début septembre, et il se rend maintenant dans le Bordelais pour les vendanges.

Voilà l’emploi du temps immuable que s’était fait mon grand-père dès 1920… En outre, comme les gens qui l’employaient étaient satisfaits de son travail, il ne changeait finalement pas d’employeur. Si bien qu’à chaque vendange, le viticulteur qui l’employait l’avait vite chargé de former une équipe complète pour assurer la récolte. Cette équipe il fallait bien la nourrir… Et devinez quoi ? Ma grand-mère se faisait alors cuisinière et suivait son homme dans le bordelais pour préparer à manger à tout ce petit monde !

La crise de l’emploi ? Connaît pas pour ces deux-là !

Et malgré tout, au bout de cette vie rude, à 87 ans, son plus grand plaisir était encore, le dimanche matin, de nous offrir le casse-croûte au restaurant à nous trois, ses petits-enfants, Raymond, Georges et moi (moi qui suis d’ailleurs son parfait homonyme), ou bien encore de donner une petite pièce à Delphine qui, du haut de ses 4 ou 5 ans, l’avait du coup affectueusement surnommé son « Pépé-pièce »… Elle n’est pas belle la vie ?