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L’AMENAGEMENT INTERIEUR DE LA FOURNIAR

Les murs et le toit maintenant terminés, il reste encore l’aménagement intérieur à réaliser. Comme nous nous dirigeons vers l’hiver et ses jours très courts, il me faut au plus vite rendre opérationnel l’éclairage précédemment installé. Et voici que, pour la première fois depuis que j’ai commencé mon four, je vais enfin travailler dans ma partie, un des nombreux métiers que j’ai pu exercer au cours de ma carrière professionnelle !

En effet, à la sortie du lycée, j’ai été recruté par la Manufacture de Pneumatiques MICHELIN située à Clermont-Ferrand. A cette époque, cette entreprise recrutait à tous les niveaux scolaires, puis assurait elle-même une formation interne dans son « Centre d’Adaptation et de Perfectionnement ». C’est ainsi que j’ai pu perfectionner mes apprentissages techniques du lycée, car parmi les nombreuses spécialisations proposées au sein de cette entreprise, j’ai notamment pu suivre, entre autres, la formation d’électromécanicien qui me permet aujourd’hui d’assurer l’installation électrique dans ma « fourniar »…

Il faut savoir que, dans les années 1970,  la «  maison Michelin » vivait en vase clos. Beaucoup d’employés habitaient dans les cités Michelin dans lesquelles les noms des rues voulaient en dire long (rue du Courage, rue de la Charité, Rue de Bonté, etc…). Les courses, se faisaient à la coopérative Michelin, les graines pour les jardins s’achetaient au « jardin ouvrier » Michelin. Autre exemple (et non des moindres !), mes deux filles sont nées à la clinique Michelin. Tout ceci peut sembler quelque peu idyllique par certains aspects, mais personnellement, cet environnement m’étouffait un peu et je n’ai résisté que dix ans… avant de revenir en Corrèze. Quitte à certainement nuire à ma carrière professionnelle et même si l’Auvergne est une magnifique région, j’ai préféré retrouver ma verte Corrèze natale.

Lors de la construction du four à Chauvignac, personne n’avait travaillé chez Michelin, l’électricité était d’ailleurs un luxe que mes grands-parents n’ont connu que tard et l’éclairage de la « fourniar » devait se résumer à un timide falot. Depuis que j’ai entrepris mon chantier, j’essaie de rester le plus authentique possible dans mes choix, mais pour le coup, il faut aussi savoir vivre avec son temps et profiter des bienfaits du progrès, même si je n’oublie pas les nuisances que ce dernier peut provoquer sur l’homme et son environnement.

            Continuant mon aménagement, j’isole le dessous de toit avec de la laine de mouton. Il est vraiment dommage que son prix soit plus élevé que les laines d’isolation à base de pétrole car la pose est très simple et ne provoque aucune démangeaison, contrairement à ce que l’on rencontre lors de la pose de laine de verre par exemple !PICT1779

 

Il me faut aussi une porte sinon mon calfeutrage n’aura pas beaucoup d’utilité… Pas question de mettre une porte toute faite du commerce, je veux une porte réalisée dans le même esprit que les portes que l’on trouvaient dans les fermes corréziennes, il y a deux siècles ; porte pleine avec un « dormant » et la partie qui s’ouvre constituée elle-même de deux battants. Même si je possède le bois nécessaire, pour faire une porte, il faut des machines et… une certaine expérience ! Je connais bien quelqu’un qui a tout ça, mais il va me falloir le convaincre de fabriquer une telle porte, qui plus est en châtaignier (essence de bois à laquelle je tiens, vu que les murs sont eux aussi en châtaignier de la même origine).

J’invite cette personne à venir voir mon « chantier ». Lors de la visite, je m’aperçois bien vite qu’il s’intéresse de très près à ma construction, tellement bien que c’est lui qui me propose son aide pour la fabrication de ma future porte : « Je veux bien t’aider ; je m’occupe du travail du bois, je te laisse le côté quincaillerie ». Gagné, j’aurai ma porte en châtaignier !

Je lui livre du bois brut de sciage et fais le tour des cabanes du Boico. Je retrouve les pentures des anciens volets de Mado. Sur la porte d’une cabane, je récupère un loquet. Sur la porte d’une grange, je démonte un loquet poucier.

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             En attendant la porte, j’ai pris soin de repeindre ces vieilles ferrailles dont certaines étaient un peu rouillées. Je leur redonne un nouvel aspect et suis donc prêt à équiper et installer ma porte dès qu’elle sera terminée.

La porte sortie des mains de mon génial façonneur, nous mettons ensemble une petite journée pour l’ajuster dans l’ouverture laissée entre deux poteaux de châtaigniers. Ce travail n’est pas facile car les poteaux sont bruts. Mon « fabricant occasionnel de porte » est un peu perplexe lorsqu’il me voit commencer à dégauchir les poteaux à la tronçonneuse. Dès que le gros du travail est fait, c’est lui qui prend le relais avec des outils plus adaptés (ciseau à bois, rabot).

La porte qu’il m’a fabriquée est constituée de deux épaisseurs de planches assemblées par des vis. La tête de ces vis reste visible côté extérieur. Il faudrait cacher ces têtes, mais comment ? La réponse est unanime et finalement évidente : « Et si tu mettais des clous ? »

L’idée me plaît bien. Me voilà donc parti à la recherche de clous dans les quincailleries de Brive. J’arrive enfin à en trouver dans une boutique. Le magasinier me présente sa « ‘fortune » dans un carton tout poussiéreux. A l’intérieur,  il y a 17 clous « pointe de diamant » qui feront très bien l’affaire, mais il m’en faut… 74 ! Comme cette quincaillerie est une enseigne nationale, ce brave magasinier se met devant son écran d’ordinateur et fait le tour du stock de ses collègues. Il aura fallu vider les fonds de tiroirs de cinq autres magasins pour arriver à la quantité de 74 ! Pour le coup, la règle que je me suis fixée de n’utiliser exclusivement que des produits locaux n’est pas trop respectée. En effet, c’est de Rodez, Toulouse, Carcassonne, Montpellier et Saint-Flour que vont venir mes clous ! On rePICT1775ste néanmoins dans le sud-ouest, leur bilan carbone reste donc raisonnable !

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             Mon stock de châtaignier n’étant pas épuisé, j’ose également lui demander de me fabriquer mes fenêtres. Là en revanche, sa réponse est instantanée et il s’ensuit la conversation suivante :

«  – Je ne peux pas, je n’en ai jamais fait !

– Et moi tu crois qu’avant ce four, j’en avais fait beaucoup ?

-… En parlant de four, à ton avis, c’est aussi compliqué qu’on le dit de refaire la voûte et la sole d’un four qui commence à montrer des signes de fatigue à cause d’infiltrations d’eau ?

– Il faut commencer par réparer le toit »

– C’est fait.

– Il est où ce four ?

– Chez moi, c’est celui qu’utilise mon père et qui vient de mes ancêtres.

-On peut le voir ?

-Oui, bien sûr. »

             A partir de cet instant, je me dis que je vais les avoir mes fenêtres ! En effet, depuis quelque temps j’aimerai participer à la construction d’un autre four, ayant plutôt un rôle de modeste conseiller et cherchant à améliorer ma première expérience dans laquelle j’ai pu repérer, après coup, des imperfections facilement améliorables.

Quelques jours plus tard, je me rends donc chez cet ami. Je constate que la voûte de son four menace effectivement de tomber et que la sole est très endommagée. Je lui dis sans trop réfléchir : « Je ne suis pas un professionnel, mais sache que je suis prêt à t’aider pour le reconstruire. » Au moment de repartir, je le salue, monte dans ma voiture, démarre le moteur… et vois mon « menuisier amateur » qui me fait signe en s’approchant de ma voiture. C’est alors qu’il me demande :

«  Pour tes fenêtres, tu as trouvé une solution ? »

La suite est facile à imaginer…

Nous sommes le 17 janvier. Tout à l’heure le soleil va se lever sur le Boico, blanchi par le froid de la nuit… Mais dès cinq heures du matin, la journée s’annonce bien par le biais de la sonnerie du téléphone qui se fait entendre. Je cours vite décrocher car, depuis hier, nous attendons une nouvelle que nous espérons bonne. Et ça valait le coup de courir de si bon matin pour répondre ! En effet ma fille Juliette, à l’autre bout du fil, m’annonce la naissance de son deuxième garçon ! Tout va bien, il se prénomme Léo. Quelle chance j’ai d’être grand-père pour la troisième fois ! Vite, SMS pour toute la famille sans oublier la marraine qui n’est autre… qu’Anaïs ! Ensuite, direction la cave, où je choisis quelques bouteilles pour les mettre au réfrigérateur (on ne sait jamais).

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            Les urgences étant maintenant réglées, je cogite un peu autour de cette naissance.

Il est très fort ce petit Léo que je ne connais encore pas. Il n’a que quelques heures, et il nous montre qu’il a déjà un profond respect pour ses ancêtres. Tout d’abord, il est né le même jour que son arrière-grand-père Louis, et que la mère de celui-ci. Ensuite, son prénom Léo, ressemble fortement à celui de deux de ses arrière-grand-mères, Léontine et Léonie. Delphine dit qu’il est génial ce prénom. Moi je trouve qu’il est même « extra » (clin d’œil à Léo Ferré).

Notre mamie Léonie va avoir un « choc », tout à l’heure lorsque Françoise va lui annoncer cette nouvelle. Son arrière-petit fils né le même jour que Louis (son mari), et ce prénom, « il est tellement proche du sien »…

Le respect des ancêtres voudrait-il dire encore quelque chose dans ma famille ?…

Dès que le jour sera levé, j’irai ajouter le prénom de Léo à la liste des propriétaires sur le panneau signalant le chantier du four, four que je dois terminer au plus vite car lui aussi, il y aura sa place avec sa cousine (et marraine) Anaïs et son grand-frère Samuel.

A l’occasion de cette naissance, je ne peux une nouvelle fois m’empêcher de comparer nos conditions de vie actuelles avec celles existant dans nos campagnes, il y a soixante ans…

Cette nuit, le thermomètre est descendu jusqu’à -5°. Léo a vu le jour dans une maternité de Brive, une clinique où la température doit être au-delà des 20°. Sa venue au monde a été surveillée de très près par du personnel médical compétent. Tout ceci dans un univers aseptisé.

Mon frère, lui, est né à la « maternité » des Palisses, à la veille de Noël 1953. Dans la chambre, il faisait quasiment aussi froid que dehors. Pour soutenir ma mère dans cette épreuve , il y avait mes grand-mères, la voisine et peut-être la sage-femme de Perpezac-le-Noir (si elle n’était pas occupée ailleurs). L’eau nécessaire pour faire un peu de toilette au nouvel arrivant et à sa mère avait été chauffée sur le feu dans le « cantou », dans la « bandelle » servant habituellement à faire la vaisselle car c’était la plus grande. Tout en sachant que cette eau, il fallait l’économiser parce qu’elle venait du fond du puits et qu’elle n’arrivait dans la maison qu’à la seule force des bras. Inutile de préciser que la toilette était donc vite faite, d’autant que l’eau refroidissait très vite à d’aussi basses températures…

Ce jour-là ma sœur et moi, nous avions été « garés » chez des voisins pour ne pas encombrer.

Le soir venu, nous avons réintégré la maison pour attendre le Père Noël qui, cette année-là, en plus de notre petit frère, avait apporté un tableau pour ma sœur (7 ans) et un ballon pour moi (3ans), ainsi que l’inévitable orange et peut-être deux mandarines.

Notre maison était constituée d’une grande cuisine et de deux petites chambres. Nous étions désormais sept sous ce toit et il a fallu  réorganiser les chambres. Ce fut simple : ma sœur dans un lit installé dans la chambre de mes grands-parents, mon petit frère dans un petit lit dans la chambre de mes parents, et moi…. dans le lit AVEC mes parents. Dans ces conditions, vous comprendrez aisément que je n’aie jamais eu d’autre petit frère !

Malgré cette situation, nous étions bien, nous mangions à notre faim et dans cet espace réduit, tout le monde avait sa place, si petite soit-elle.

Heureusement, en à peine soixante ans, les conditions de vie ont bien changé ! Samuel et Léo auront chacun leur chambre, certainement plus de cadeaux que nous, mais seront-ils pour autant plus heureux ?…

Pour revenir à l’eau, c’était quelque chose de vital à l’époque ; ça l’est toujours, mais on a malheureusement appris à la négliger lorsqu’elle s’est mise à couler toute seule (ou presque) au robinet. Imaginez ma mère, quelques jours après son accouchement, descendre vers la serve (« lo cherbo », mare artificielle alimentée par une source à une centaine de mètres de la maison) avec sa brouette chargée du linge de la famille, qu’il fallait finir de laver et rincer dans cette eau glacée, après l’avoir fait bouillir dans une lessiveuse dans le « cantou ».

Pour faire sa lessive, ma mère s’installait à genoux devant une planche fixée à la berge et inclinée dans l’eau. Cette planche était rainurée, pour permettre de frotter le linge.

Il arrivait que mon grand-père vienne la rejoindre avec sa charrette tirée par deux vaches. Dans cette charrette, il y avait les topinambours qu’il avait arrachés la veille, malgré la terre détrempée, voire gelée. Il n’avait pas le choix : ce légume était un très bon aliment pour le bétail, mais ne se conservait pas hors de terre. Il devait donc être arraché en fonction des besoins. Dès qu’ils étaient récoltés, il fallait laver ces tubercules tout biscornus couverts de terre.

Mon grand-père avait aménagé une sorte de caisse dont le fond était à claire-voie et l’avait installé dans la rigole où se déversait l’eau de la serve. Il vidait sa charrette dedans, attendait que ma mère ait fini sa lessive et ouvrait la bonde, et l’eau faisait son travail…

Ma mère, après avoir passé une heure ou deux les genoux sur un coussin de paille gorgé d’eau et le dos courbé sur la planche, toute courbaturée qu’elle était, chargeait sa panière de linge rincé sur sa brouette pour remonter à la maison, et mon grand-père lui disait :

« Vai te sofa à lo maiso, te montorai ta boureto quand aurai sobo. »

« Va te chauffer à la maison, je te monterai ta brouette quand j’aurai fini. »

On peut aisément comprendre que, sur leurs vieux jours, les femmes de cette génération disaient toutes que la plus belle chose que leur avait amenée le progrès, c’était la machine à laver le linge !

La serve avait d’autres fonctions. C’était aussi un de nos terrains de jeux favoris pour mon frère et moi. Dans la rigole du trop-plein, nous installions des « moulins » que nous fabriquions nous-mêmes avec des branches de châtaigniers. Ou bien encore, nous ouvrions la serve. L’eau se déversait sur le pré avant de s’infiltrer dans les galeries des taupes, ce qui les obligeait à quitter leur domicile et à courir sur le pré. Elles étaient alors attendues par deux gamins munis de pelles, qui jouaient à qui pouvait en tuer le plus… Cela valait les jeux de consoles d’aujourd’hui, où les enfants jouent à tuer virtuellement des êtres humains embusqués… A Brive, au lycée, lorsque j’étais en cinquième, ce chasse-taupes s’est avéré essentiel pour moi. J’avais un professeur de sciences naturelles qui donnait une note de 20 à qui lui amenait une taupe. Je pense que, de toute ma scolarité, c’est l’année au cours de laquelle j’ai eu le plus de 20 !

Pour faire cuire son pain, mon grand-père avait lui aussi besoin d’eau. Lorsque le four est assez chaud, il faut sortir les braises et balayer la sole. Ce travail se fait avec le «  reur » et « l’écoubié » qu’il faut refroidir souvent en les trempant dans de l’eau. Mon grand-père, toujours dans un souci d’économie de cette eau, avait installé une vieille chaudière hors d’usage (grand récipient dans lequel on faisait cuire la « baccade » pour les cochons) sous une gouttière. L’été, l’eau avait une couleur suspecte, mais cela n’altérait en rien les qualités gustatives de son pain.

Pour ma part, j’utilise les mêmes ustensiles, que je refroidis selon la même méthode. Mais afin d’éviter la stagnation des faibles eaux d’été, je réalise un récipient « vidangeable » et alimenté par l’eau du robinet pendant les périodes sans pluie.

Autrefois, pour désigner ces récipients dans lesquels on stockait de l’eau ou des aliments, on employait le terme de « bandelle ». Chacune avait son attribution. Il y avait ainsi « la bandelle des poules », « la bandelle des cochons », « la bandelle de la vaisselle » ou bien encore « la bandelle des pieds », cette dernière servant, comme son nom l’indique, à se laver les pieds après une dure journée de labeur aux champs. Ce terme me plaisant bien, je baptise donc ainsi le récipient que je réalise dans mon four pour refroidir mon « reur » et mon « écoubié ». Ce sera désormais « la bandelle du four »…

Par extension, le terme de « bandelard » était aussi utilisé pour désigner quelqu’un d’un peu fou ou ayant des idées un peu étranges… Au début de mon projet de chantier, je pense que certains n’ont pas dû se gêner pour m’affubler de ce qualificatif !

Pour réaliser cette « bandelle », je fixe verticalement un tuyau béton, que j’habille à l’aide d’un petit muret. Ma « bandelle » aura ceci de particulier qu’elle ne sera pas transportable car bétonnée et définitivement fixée à la fourniar ! Je fabrique aussi un couvercle pour sécuriser le tout. Cette « bandelle » pleine d’eau représente en effet un danger pour toute ma petite famille. « Il vaut mieux prévenir que guérir… ».

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Depuis quelque temps, j’ai repéré une maison à Allassac dont les chevrons de rive sont protégés avec des ardoises. N’en étant plus à mon coup d’essai, encore une fois, je décide d’en copier le principe et me remets à la taille…

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            Le toit est maintenant enfin complètement TERMINE !

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            En revanche, l’hiver, lui, n’est pas encore fini, et les intempéries ont commencé leur œuvre sur mes rondins de châtaigniers. Le côté ouest de ma «  fourniar » commence à changer de couleur. Par endroits, le bois devient déjà grisâtre.

Je me lance donc à la recherche du produit idéal pour protéger mes murs de fustes. Je m’adresse à plusieurs drogueries de Brive. Mais les vendeurs ouvrent des grands yeux lorsque je leur demande un produit pour protéger des rondins de châtaigniers bruts. Bien sûr, ils essaient de me vendre un de leurs produits, différent d’une boutique à l’autre. Pas très enthousiasmé par ce qu’ils me proposent, je décide de me tourner vers des valeurs sûres. Je m’adresse donc à deux vieux artisans (de mon âge, donc !). L’un est peintre, l’autre menuisier. Eux, au moins, sont d’accord ; ils me conseillent tous deux un vieux produit qui, selon eux, a fait ses preuves : l’huile de lin, tout simplement. Mais ils me mettent en garde : « Attention, il te faudra peut-être une vingtaine de couches ! Il faut que tu en passes tant que ton bois arrive à le boire ! ».

Vu que je ne compte pas mon temps, j’adopte cette solution et me mets à la tâche…

Toujours dans l’attente de mes fenêtres et avec un mois de février particulièrement froid cette année, le chantier est à nouveau arrêté. Avec de telles températures (-12° la nuit, 0° au moins froid de la journée), il n’est pas envisageable de peindre mes rondins extérieurs. Pour les finitions intérieures, je rencontre le même problème. Et la mise en service du poêle que j’ai eu en cadeau pour mes soixante ans n’y changera rien… sans les fenêtres ! Je ne peux même pas réparer les « paillassous » que j’ai récupérés chez mamie Léonie car les ronces nécessaires pour cela ont gelé !

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Pour résister, un dimanche à midi, nous dégustons des pieds de cochon cuisinés par Mado, qui a essayé d’appliquer la recette que lui a transmise sa mère, notre mamie Léonie. Le succès est de mise ! Tout le monde autour de la table se régale et félicite notre nouvelle spécialiste-héritière de ce plat typique de notre campagne corrézienne. Il va de soi que pour accompagner ce mets en sauce, je fais les « tourtous ». Voilà donc un dimanche de repos pour mon four…

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Après deux semaines de quasi somnolence, le chantier redémarre enfin par la mise en place des fenêtres. Hormis la tenue du délai, mon « génial façonneur » est irréprochable sur ce travail : ajustement entre les rondins et fabrication, tout est « parfait ». C’en est à se demander pourquoi, de nos jours, les menuiseries artisanales en bois issu de nos forêts locales n’ont plus leur place…Mes fenêtres étant du « sur-mesure », je commande maintenant mes carreaux en fonction des dimensions des fenêtres.

Les gelées s’estompent… Je peux donc désormais poursuivre l’application de l’huile de lin sur les rondins.

Ce travail ne me demandant pas une réflexion exceptionnelle, je peux laisser aller mes pensées… A travers la fenêtre sans vitre, mon regard se porte sur le poêle que je reconnais volontiers avoir choisi en fonction de mes souvenirs d’écolier…

A l’école communale de Perpezac-le-Noir, où j’ai démarré mes « brillantes » études à l’âge de trois ans et trois jours, les classes étaient chauffées à l’aide d’un grand poêle rond, dont le mien est une copie miniaturisée. Parmi ces poêles que nous retrouvions quotidiennement, celui qui me reste le plus en mémoire est celui qui nous réchauffait lorsque que j’étais au cours moyen.

La place que nous occupions dans notre salle de classe était attribuée par notre institutrice et ce, en fonction des notes du mois : les meilleurs devant et les moins bons au fond. Mais d’un mois à l’autre, la disposition ne changeait pas beaucoup ! Monique et Michèle étaient vissées au premier rang. Quant à moi, je me situais tranquillement vers le milieu de la classe…

Les seules places qui étaient attitrées d’office à l’année étaient celles se situant autour du poêle. Non pas que certains parmi nous étaient plus frileux que d’autres… Non, tout simplement, ces places étaient réservées aux élèves qui venaient de loin. Ainsi, Charles, Guy et Robert s’asseyaient près de ce poêle après avoir parcouru cinq kilomètres à pied ou à vélo sur des chemins boueux ou des routes non goudronnées. Bien des matins d’hiver, ils appréciaient de trouver en arrivant la chaleur du poêle qui séchait lentement leurs vêtements détrempés par la pluie durant le trajet… La légende non usurpée des cancres rêveurs assis au fond de la classe à côté du poêle ne les concernait donc pas !

Pourtant, selon toute vraisemblance bien légitime, lorsque, de bon matin, ils rejoignaient leur place transis de froid, ils devaient être plus réceptifs à la bonne chaleur du poêle qu’à ce que s’évertuait à nous expliquer notre brave institutrice ! Et la chaleur retrouvée aidant à somnoler et à rêver, je suis prêt à parier qu’ils devaient rapidement s’évader de la salle par la pensée et retrouver les premiers moments de leur journée…

Avant de partir de chez lui, Charles avait fait un tour dans l’atelier de menuiserie de son père. Il en avait profité pour avancer son petit travail personnel qu’il réalisait dans un coin de l’atelier paternel. En chemin, il avait traversé le Brezou sur la barre de Lornac (un tronc d’arbre en travers de la rivière), et comme ce jour-là, il avait vu une truite « grande comme ça… », il réfléchissait déjà au moyen qu’il allait employer pour l’attraper le soir sur le chemin du retour…

Guy, lorsqu’il était arrivé avec ses copains au carrefour de la route de Vigeois, avait vu un vol de palombes qui s’était envolé au-dessus de la forêt de la Buginie. Il se prenait maintenant à rêver : « Quand je serai grand, j’irai les chasser… ».

Quant à Robert, avant de partir de la ferme familiale, il avait aidé son père à faire téter un veau né dans la nuit mais malheureusement déjà malade. La phrase qu’avait dite son père en quittant l’étable ne le quittait pas : « Quete cher, quad toura, chiro crebo », « Ce soir, quand tu reviendras, il sera mort ».

Aujourd’hui, ces trois-là sont à la retraite, et leurs « absences » pendant la classe ne les ont pas empêchés de réussir leur carrière professionnelle…

Quant à mes « absences » à moi, elles me transportaient vers les jeudis que je passais à Chauvignac, mais dans un moindre confort… car j’étais loin du poêle (c’est peut-être pour cela que, cinquante ans plus tard, j’ai profité de la générosité de ma famille et de mes amis pour avoir un poêle rien qu’à moi !)…

Ces jeudis-là pourtant, étaient de moins en moins nombreux. Ma grand-mère, qui se trouvait également être ma marraine, ne venait plus me chercher le mercredi soir aux Palisses. Mes parents me disaient qu’elle était fatiguée pour faire l’aller-retour à pied et qu’eux n’avaient pas le temps de m’y amener. Je n’allais donc plus à Chauvignac qu’avec mes parents et n’avais plus l’autorisation d’y rester sans eux. Pourtant, il n’y avait pas si longtemps, lorsque je quittais mes grands-parents le jeudi soir, mon grand-père me demandait toujours quand j’allais revenir, mais depuis quelque temps, plus rien. Je voyais bien également que ma grand-mère avait changé. Elle, qui était d’ordinaire très souriante, était désormais toujours triste. Elle, qui auparavant était toujours à mes petits soins, semblait maintenant complètement indifférente à ma présence.

Je n’ai compris qu’elle était gravement malade que lorsque ma mère est restée à Chauvignac pour s’occuper d’elle. Ceci très peu de temps avant sa mort, car ma marraine s’est battue presque jusqu’au bout toute seule contre ce « crabe » qui aura été encore une fois le plus fort.

J’en avais voulu à mes grands-parents avant de comprendre pourquoi ils ne me voulaient plus avec eux. Avec le recul, je pense que cela aurait été certainement plus simple de m’expliquer clairement les choses. Mais à l’époque, dans les familles où trois générations vivaient sous le même toit, les enfants avaient surtout le droit… de se taire. Ils prenaient les seules explications qu’on voulait bien leur donner, mais n’avaient certainement pas le droit de poser de questions. Notamment aux moments des repas au cours desquels, en général, la moindre prise de parole d’un enfant était sanctionnée par la réplique qui fait rire aujourd’hui mes filles et mes petits enfants : « Minje é baro-lo ! », « Mange et ferme-la ! ».

Avec le décès de ma grand-mère, je connaissais pour la première fois la disparition d’un être cher. Bien sûr, j’avais déjà entendu les adultes parler de la mort et de ses victimes.            Ces morts que l’on veillait pendants deux jours et deux nuits entre leur dernier souffle et le moment de leur enterrement qui avait souvent lieu le matin… Il s’en suivait alors un repas au domicile du défunt, réunissant les voisins, les amis et la famille qui, s’étant déplacés à pied pour assister aux obsèques, devaient se restaurer avant le chemin du retour. Et puis, dans nos campagnes, il était coutume de nourrir les gens qui aidaient et ce, quelles que soient les circonstances : pour les moissons, pour la batteuse, mais aussi donc lorsque la mort survenait. Ils étaient là pour le soutien moral mais aidaient également à tout ce qu’il fallait gérer dans l’urgence de pareilles circonstances.

Il fallait notamment prévenir la famille. Aujourd’hui, rien de plus facile (un coup de fil, un SMS, un mail et l’information est vite transmise). Mais à cette époque, pourtant pas si lointaine, pas de téléphone, pas de journaux… C’était à vélo, ou au mieux parfois en voiture, que se faisait le porte-à-porte pour annoncer la mauvaise nouvelle.

Il y avait aussi les « porteurs » qui assuraient le transport du cercueil et que l’on choisissait parmi la famille ou le voisinage.

Sans oublier les voisins qui s’étaient occupé des animaux de la ferme pendant ces deux jours.

Ce repas avait donc toute sa place et toute sa raison d’être.

Aujourd’hui, les choses ont bien changé… Le plus souvent, dès que la mort est constatée, on évacue le corps du défunt de sa maison, on le parque dans un hangar pompeusement appelé funérarium. Quand arrive le jour des obsèques, on revient le chercher. On le met en terre. Et bien souvent, tout le monde repart aussi vite qu’il est venu…

Ma grand-mère est morte le premier septembre de l’année de mes onze ans. Ce décès annonça une autre disparition car il sonna le glas de mes jeudis à Chauvignac : ceux-ci n’auraient plus lieu. Le four à pain lui-même ne fonctionnera jamais plus là-bas…

Deux semaines plus tard, tout a définitivement basculé pour moi : je suis entré interne au lycée Cabanis à Brive. Et je n’avais certainement pas été demandeur d’un tel sevrage ! Mais au printemps précédent, mon institutrice avait fait le déplacement jusqu’à mon domicile des Palisses pour convaincre mes parents que j’avais ma place en sixième. Ma sœur avait en effet suivi cette voie quatre ans plutôt, et venait d’être brillamment reçue à son brevet, alors… Mes parents avaient bien un peu hésité au début mais ils se sont laissés convaincre, tout en sachant pertinemment que cela représenterait une importante charge financière supplémentaire… Jamais je ne me suis habitué à cette nouvelle vie et je suis pourtant resté interne neuf longues années. C’est en effet le temps qu’il m’a fallu pour décrocher ce fameux « bac », alors que cela aurait normalement dû être fait en seulement sept ans !

Le dortoir à quatre-vingts lits, le réfectoire à quatre cents places ne me faisaient non seulement pas oublier mon lit dans la chambre de mes grands-parents à Chauvignac mais ils me le faisaient regretter, et avec lui les « pompichoux » odorants à la sortie du four… Ces « pompichoux » qui étaient de succulents petits pains fourrés à la pomme, cuits dans le four, recouverts d’une feuille de choux. Ma madeleine de Proust à moi…

Seul point positif peut-être de cette expérience briviste : à onze ans, je prenais une douche et me lavais les dents pour la première fois !

Bien que m’étant pas mal égaré dans mes souvenirs d’enfance, l’application de l’huile de lin sur les rondins a bien avancé et je décide de l’arrêter momentanément.

Je reprends en effet mes outils de menuisier pour fabriquer les bancs que j’avais prévus dans le descriptif adressé à la mairie lors de ma demande de permis de construire.

Petit rappel : les murs de soubassement de ma « fourniar » sont bâtis en pierres (hauteur 50 cm, largeur 50 cm) ; dessus reposent les rondins de bois (largeur de 20 à 30 cm)… Je dispose donc, sur trois côtés, d’un espace restant assez conséquent formant déjà à lui seul un banc « naturel ».

Toujours empreint de mes souvenirs d’enfant et pour que mon projet ressemble au mieux aux bancs situés de chaque côté de la table dans la cuisine de nos anciennes fermes corréziennes, je décide d’habiller le dessus de mes murets avec une assise en… châtaignier bien sûr !

L’origine de ce bois n’est cette fois pas allassacoise mais n’en demeure pas moins familiale (encore !). Le taillis dans lequel j’ai prélevé ce bois appartient en effet à ma belle-mère (notre mamie Léonie) et se situe au village de Mournetas sur la commune de… Perpezac-le-Noir ! A nouveau cette commune ! Pourquoi ? Parce que c’est celle qui a vu naître notre mamie !

Il y a vingt-cinq ans de cela, une ligne électrique a été installée au travers de ce taillis par les équipes d’EDF qui ont coupé à grands coups de tronçonneuse tout ce qui gênait. Jacques (mon défunt beau-frère) et moi avions alors récupéré le bois de chauffage, et avions fait débiter tout ce qui, à nos yeux, pourrait peut-être nous être utile un jour, en prenant bien soin de le stocker dans un endroit favorable au séchage.

Les années ont passé… Jacques a malheureusement disparu. Le châtaignier débité, lui, est toujours là. Je décide donc d’utiliser ce bois d’exception pour réaliser mes bancs. Je ne perds pas non plus de vue que cette opportunité est due à des personnes qui ont su ne pas vendre une parcelle si petite soit-elle, en souvenir du patrimoine laissé par leurs ancêtres…

Après rabotage, assemblage et ponçage des différents éléments, je réalise l’ajustement de chaque banc par rapport aux rondins, à l’aide de mon trusquin, qui m’avait servi jadis à ajuster les rondins entre eux. Ce trusquin me permet de reporter le profil des rondins sur l’arrière de l’assise. Il me suffit ensuite de découper en suivant le trait. Les différents éléments composant mes bancs sont rendus solidaires entre eux à l’aide de chevilles en bois, puis fixés sur le mur.

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            Cette nouvelle opération maintenant terminée, il me reste à trouver un revêtement pour le sol.

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            Je définis clairement mon cahier des charges. Il me faut quelque chose qui résiste au passage de la brouette lors de l’enlèvement des braises du four en fin de chauffe. Ce revêtement doit également résister à la chute accidentelle de quelques braises. Il doit enfin être d’une épaisseur maximale de 5 mm, car je n’ai pas envie de raboter le bas de ma porte !

Ces critères essentiels étant répertoriés, il ne me reste plus qu’à partir à la recherche du procédé qui va correspondre le mieux à mes exigences…

Tout en réfléchissant à mon « revêtement de sol », je pose les carreaux de mes fenêtres que j’ai enfin reçus. L’attente a été longue, entre autres par ma faute car lors de la réception de la commande initiale, j’ai cassé un carreau avant même la pose ! J’ai donc dû en commander un autre… Cet incident m’a confirmé ce que je savais déjà : je suis plus à l’aise pour construire un mur en pierre que pour faire certains travaux beaucoup plus minutieux !

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!    Après mûre réflexion, je décide de me tourner vers le plus simple pour la finition du sol. Les recherches que j’ai menées chez les marchands de matériaux locaux m’ont conduit à laisser le ciment tel qu’il est, brut, en l’enduisant seulement d’une sorte de stabilisant/durcisseur de surface, transparent après application. Il existe aujourd’hui des produits très efficaces pour cette fonction. Je regrette certes que ces produits soient très certainement des dérivés du pétrole, mais je n’ai pas tellement le choix ! Avant l’application du produit que j’ai choisi, je prévois de raboter le sol pour mettre en évidence les graviers rentrant dans la composition du béton.

Pour raboter ce sol, il me faut du matériel dont je ne dispose pas. Encore une fois, je m’adresse donc à un membre de mon entourage, René, un ami artisan à la retraite qui a conservé beaucoup de matériel.

Un dimanche matin, à l’occasion d’une fournée de pain, je demande donc à René de venir pour que je puisse lui exposer mon problème. Comme je le pensais, il a à la fois le matériel ET la disponibilité pour raboter mon sol.

A la date dont nous avons convenu, René arrive à l’heure prévue et, après l’incontournable casse-croûte, nous nous mettons au travail. A midi l’« usinage » est terminé. L’après-midi est consacré à l’application du stabilisant/durcisseur.

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Mon four, ou plus exactement « notre four » maintenant terminé, je ne peux m’empêcher de me remémorer toutes les aides que j’ai sollicitées et sans lesquelles ce projet n’aurait pas vu le jour et/ou son terme…

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Une fois que la décision a été prise et vu que je n’avais quasiment aucune connaissance dans les différentes techniques des métiers du bâtiment, il a fallu que je trouve de l’aide et des conseils dans mon entourage. Ceux-ci furent nombreux et je les en remercie encore une fois…

Thierry m’a aidé à démolir le four à Chauvignac. Bébert m’a donné de précieux conseils au cours de la démolition.

Les pierres arrivées au Boico, Fred et Thierry ont été souvent sollicités pour des opérations demandant de la main-d’oeuvre, surtout le dimanche matin, avant le traditionnel repas dominical.

Maurice a lui aussi toujours répondu présent pour les grosses manutentions (mise en place de la margelle ou bien encore préparation et mise en place des rondins de châtaignier).

Sylvain a joué un rôle important de grutier pour la mise en place de la charpente.

Robert, lui, était « l’intérimaire » du chantier : un simple coup de téléphone et un quart d’heure plus tard, il arrivait pour un coup de main parfois long de seulement cinq minutes.

Francis est intervenu en tant que conseiller en pose d’ardoises et de gouttières.

Aubin m’a apporté ses compétences pour la menuiserie et René pour l’aménagement intérieur.

D’autres, plus anonymes, m’ont également été précieux pour mener à bien cette réalisation : il s’agit de tous les marchands et/ou vendeurs de matériaux chez lesquels je me suis rendu et qui ont su me prodiguer leurs conseils, même si parfois je ne leur achetais pas grand-chose au final…

L’aide de toutes ces personnes citées plus haut a été physique ou matérielle. Mais pas seulement. Chacune, dans sa « spécialité », a émis de précieuses idées pour m’aider à résoudre tel ou tel problème. Dans ce rôle, plus cérébral mais tout aussi important, je n’oublie pas les idées lumineuses de Franck et les précieux conseils d’architecture de Danièle.

Pour nourrir toute cette équipe, il a fallu les talents toujours appréciés de Mado, Mamie Léonie et Françoise.

Et si cette équipe est toujours restée motivée, c’est aussi un peu grâce à nos « fans supporters », parfois encore plus enthousiastes que nous. Il s’agit d’Anaïs, Delphine, Juliette, Julien, Sandrine, Nathalie et Arnaud, Renée et Georges, Marcel, Fanchon, Betty…

Je n’oublie pas, parmi eux, Michel un de mes copains d’enfance qui, vivant aujourd’hui à Montpellier, a tellement fait connaître ce « blog » autour de lui, que le modeste « four à pain vagabond du Boico » semble presque aussi connu dans l’Hérault que Louis Nicollin, l’emblématique président de l’équipe de football montpelliéraine.

Dès le départ de cette entreprise un peu folle, mon projet a été double : la construction du four bien entendu, mais également la tenue de ce journal de bord que les jeunes nomment « blog ».

Pour cela, il a fallu toute la patience de Franck pour me guider dans des méandres informatiques que je maîtrise assez mal.

Mais j’ai surtout eu besoin de Delphine qui a passé de nombreuses soirées à réécrire dans un français correct tous les textes, un peu brouillons parfois, que je lui faisais parvenir, textes que j’écrivais dans mon langage particulier composé de patois corrézien, d’argot et parfois, d’un peu de français plus académique ! Anaïs a été même mise à contribution tellement la tâche était rude !

Pendant les quatre années dont j’ai eu besoin pour démolir, réfléchir et reconstruire ce four afin de faire revivre un petit bout du patrimoine laissé par mes grands-parents, j’ai été encouragé dans mon aventure par l’arrivée de deux nouveaux petits-enfants. En effet, Juliette en me donnant mes deux petits-fils que sont Samuel et Léo, m’a obligé à aller au bout de mon projet.

Je me trouve maintenant dans la même situation que mon grand-père : comme lui, j’ai une petite-fille et deux petits-fils. A moi d’être aussi malin que lui, lui qui a su, sans que je m’en rende compte à l’époque, me faire comprendre l’importance de nos racines familiales…

Durant cette période, d’autres naissances sont venues rajeunir la famille par le truchement de mes deux filleuls, Nathalie et Franck, qui m’ont permis de devenir grand-tonton de deux petites-nièces, Chloé et Alicia.

Depuis 2008, ma famille proche s’est donc enrichie de quatre petits êtres. Ces naissances ont non seulement accru ma motivation à mener à bien mon projet, mais elles m’ont aussi permis de retrouver des raisons d’être, après l’hécatombe qu’avait connue notre famille en ce début de XXIème siècle…

Lorsque j’ai reçu le dossier de mon permis de construire, il y avait à l’intérieur une « déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux ». Avant d’expédier ce document aux autorités compétentes, je dois m’assurer que mon four, maintenant terminé, correspond à MON cahier des charges. Celui de l’administration n’a que peu d’importance à mes yeux. Si, pour les élus locaux, mon four n’est pas conforme au dossier, ils n’auront qu’à m’en informer par pli recommandé, ils savent faire…

 

Je vais donc définir mon cahier des charges (je sais, cela doit se faire avant le début de tout chantier). Je convoquerai alors les bâtisseurs, et ensemble, nous ferons une réunion de fin de chantier.

 

Date : 1er mai

Heure : 8 heures 30

Lieu : autour de la table, dans la fourniar.

 

Cahier des charges du four :

Les dimensions sont-elles les mêmes que celles du four de Chauvignac ?

Les matériaux utilisés sont-ils identiques à ceux de Chauvignac?

Tous les matériaux récupérés à Chauvignac ont-ils été utilisés ?

Les matériaux supplémentaires sont-ils à plus de 95% des matériaux locaux ?

 

Qualité des mets cuits dans ce four :

Pain :

Viande :

Légumes :

Gâteaux :

 

Bilan du projet :

Le four de Chauvignac assurait une fonction essentielle dans la gestion de la nourriture quotidienne : il apportait le pain sur la table, tous les jours. Quel est le rôle principal du nouveau four du Boico ?

 

Le 1er mai, à l’heure dite, les bâtisseurs sont là.DSCI1011

La réunion de fin de chantier commence par la traditionnelle «  frotte à l’ail », puis s’ensuit le casse-croûte habituel. Seule nouveauté : cette année, le pain est cuit dans le four du Boico. Petit détail qui change tout !

 

Vers midi, après avoir terminé notre « réunion » par les gâteaux et le café, je pose aux bâtisseurs les questions de mon cahier des charges. La réponse est unanime : « On a bien cassé la croûte, tout était bon ! Pour le reste on te fait confiance ».

Quant au rôle principal du four : « Qu’il continue à nous trouver des occasions de passer de bons moments ensemble comme ce matin. »

 

Avec une telle évaluation, je suis comblé. Je considère donc que mon cahier des charges est respecté et que j’ai atteint le but de convivialité que je m’étais fixé…

Au cours de toutes ces différentes tâches de démolition et de reconstruction du four de mon grand-père, j’ai repris contact de près avec une partie du patrimoine que nous avaient laissé mes ancêtres ; je l’ai touché de mes mains, je l’ai repensé, je me le suis approprié, je m’y suis fortement attaché. Ceci a eu pour effet de me réveiller et de me faire prendre pleinement conscience de l’erreur que j’ai commise, il y a trente ans de cela, en laissant filer ce patrimoine matériel. J’aurais alors dû me souvenir que j’avais appris à l’école cette fable deLa Fontaine, « Le laboureur et ses enfants » dans laquelle il est écrit :

« Gardez-vous de vendre l’héritage que nous ont laissé nos parents,

Un trésor est caché dedans ».

            Certes, pas plus que les enfants de ce célèbre laboureur, je n’ai trouvé dans ce four de coffre rempli de pièces d’or. Mais en remuant ces pierres et ces briques, j’ai revécu de nombreux temps forts de mon enfance. Et ça, pour moi, c’est un VERITABLE trésor. Je m’en veux aujourd’hui d’avoir pu manquer de respect à ce patrimoine familial en le laissant m’échapper. Je ne peux désormais que l’admirer de loin, plus ou moins recouvert par des maisons d’habitation, voire bientôt par des usines… A défaut de patrimoine matériel, il me reste néanmoins pléthore de souvenirs. Instantanément, chacun d’entre eux me revient à moi quand mes yeux se posent sur telle ou telle parcelle de terrain….

Le « pré de Chauviat », où j’allais garder les vaches avec ma grand-mère….

La « terre de l’Allée », où nous plantions les pommes de terre les lundis de Pâques avant d’aller à la fête des omelettes au Bariolet…

Le « Bois », où je jouais à l’apprenti bouvier sous les conseils que mon grand-père me prodiguait tout en labourant son champ…

Et bien d’autres encore…

S’il est une leçon à tirer de cette aventure, c’est qu’on ne peut pas, ne doit pas oublier nos racines. Mon four ressuscité, outre sa fonction première de cuire du pain et de fédérer la famille et les amis, doit servir à générer (et je le souhaite de tout cœur) de nombreux souvenirs pour mes descendants, pour quelques générations encore…

Quant à moi, approchant du crépuscule de ma vie, j’ai décidé qu’à ma mort, ma place sera au cimetière de Saint-Pardoux-l’Ortigier, près de mes ancêtres. C’est en effet en ce lieu que reposent mes parents, mes quatre grands-parents ainsi que tous mes arrières grands-parents. Cette idée d’ultime demeure m’est venue peu à peu, au fil de la reconstruction de ce four… Mais ne nous méprenons pas : que tout le monde sache bien que je ne suis pas pressé !!! Je pense avoir encore beaucoup de choses à apprendre à mes trois petits-enfants et de bons moments à passer avec ma famille et mes amis dans la « fourniar » par exemple.

 

Le four étant fini, je vais maintenant pouvoir débuter la restauration du puits qui se trouve tout à côté. Mais ça, c’est une autre histoire…

 

FIN

LE TOIT DE LA FOURNIAR

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LA FUSTE

Après avoir consacré une semaine ou presque au cochon, je peux maintenant continuer la construction de la « fourniar ». Je n’ai pas changé d’avis sur le mode de liaison entre le muret et les rondins ; je fixe le fer en « T » sur le muret et suis maintenant prêt pour commencer mes murs en rondins !

 

Une telle construction s’appelle une fuste. Le principe consiste à bâtir les murs à l’aide de rondins bruts ajustés les uns sur les autres de façon à construire des murs étanches et solides. Il existe plusieurs techniques de construction : à entailles de coins, pièce en pièce (poteaux/poutres), en queues d’aronde, etc…

Comme je vais encore découvrir un nouveau métier, je décide d’utiliser la technique « pièce en pièce », qui me semble être la moins compliquée, et celle qui s’adaptera le mieux à l’essence de bois que je vais utiliser. En effet, les fustes se réalisent en général avec des rondins de bois résineux (mélèze, douglas ou pin), qui donnent des rondins droits et à peu près réguliers. Mais dans le principe général que je me suis fixé, à savoir utiliser au maximum les matériaux locaux, je choisis des rondins de châtaignier (que j’ai pris soin d’abattre l’hiver dernier). Comme pour la charpente du four, ce bois provient du taillis familial de la Brouillade. L’inconvénient, c’est que ces rondins ne sont ni droits, ni réguliers ! D’où l’avantage de la technique « pièce en pièce » qui permet d’employer des bois plus courts.

La première tâche à mener, c’est d’écorcer les rondins. Pour cela, je dois acheter de l’outillage : une sapie pour faciliter la manutention et un écorçoir. Ce travail n’est pas trop compliqué.

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Ensuite je dois commencer à préparer les poteaux. Dans chacun d’eux, je taille les rainures qui recevront les poutres (rondins horizontaux). Nouvel achat de matériel : un compas-trusquin traceur à double niveau et différents ciseaux à bois.

Premier poteau… Je trace la rainure, l’ébauche à la tronçonneuse et la finis au ciseau à bois. Thierry, de passage à l’heure de l’apéro, m’aide à le mettre en place. Le résultat est convenable et le lendemain matin, je fais en sorte que le deuxième poteau soit terminé à l’heure de l’apéro… Car cette fois-ci, je sais que Fred doit venir et c’est lui qui va m’aider à le positionner !

            Je peux maintenant commencer la pose des rondins horizontaux (poutres). Je coupe à longueur, taille les tenons devant permettre l’ajustement avec la rainure des poteaux.

 Je positionne le premier rondin sur le muret. Assez facile : le muret est rectiligne. Je pose le second qui vient en appui sur le premier. Entre les deux rondins, il y a un important jeu provenant du profil irrégulier de chaque rondin qui, je le rappelle sont bruts (uniquement écorcés). J’utilise le trusquin pour reproduire le profil du rondin inférieur sur le rondin supérieur. A la tronçonneuse, je creuse une gorge suivant le tracé ainsi réalisé. Je redépose le rondin supérieur à sa place… et suis assez surpris du résultat ! L’ajustement est parfait, aucun jeu ne subsiste entre les deux rondins !

Encore une fois, je suis en admiration devant l’inventeur de ce trusquin qui m’a permis de réaliser cet ajustement. Seul point négatif, l’association qui commercialise ce produit est assez avare d’explications. Ce produit est livré sans notice explicative, contrairement à ce qui se fait en général. Il est vrai que cette association organise des stages de formation. Ceci explique peut-être cela…

Après avoir mis en place ces deux premiers rondins pour tester ma méthode de travail, je constate assez rapidement, que tout seul, je suis en difficulté dans la manutention de ces rondins. Il me faut trouver des bras. Cette fois c’est Maurice, en retraite depuis peu, qui se porte volontaire.

Avec son aide, le travail devient beaucoup plus facile. Lorsque je suis tout seul, je prépare les poteaux et écorce les rondins. Les jours où Maurice est présent, nous nous consacrons à la mise en place des derniers poteaux et à la taille des rondins. Rondins qu’il faut présenter, tracer, puis enlever pour tailler la jonction avec le rondin inférieur et la gorge qui recevra la laine de mouton en guise d’isolant.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             Pourquoi la laine de mouton qui est plus chère que la traditionnelle laine de verre et qu’il faut aller chercher à Saint-Pierre-Roche dans le département voisin du Puy-de-Dôme? Tout simplement pour poursuivre ma logique d’utilisation de produits locaux et naturels.

Lorsque nous arrivons au niveau inférieur des futures sablières, il faut tout démonter pour mettre en place la laine de mouton. Nouveau renfort en la personne de Robert, et avec son aide, nous démontons ces murs en ayant pris soin de tout repérer. Puis nous les remontons en prenant bien soin de boucher tous les intervalles avec cette laine.

Inutile de préciser que lors de ces dures journées de travail, Françoise nous prépare de copieux repas bien mérités !

Arrivé aux sablières, j’adopte le principe « tenon/mortaise » pour assembler poteaux et sablières.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             Après avoir tout préparé, je sollicite Sylvain pour la mise en place. Il accepte sans hésiter et un soir, après sa journée de travail, il nous rejoint avec son camion-grue. Bonheur : pas d’erreur dans la taille, la mise en place est rapide ! Comme il nous reste du temps avant l’apéro, nous profitons de Sylvain et de sa grue pour présenter le tirant cintré, qui servira de pied de support au faîtage. Nous traçons, taillons et fixons ce tirant. La journée se termine autour d’une bonne table en attendant la prochaine journée de travail de l’équipe…

            Mais pourquoi donc ce tirant est-il cintré ? Puisqu’il va se trouver contre la cheminée, un tirant droit aurait caché la clef de l’ancienne voûte du four de Chauvignac et la partie supérieure du linteau de la cheminée. Ce que je refusais, bien évidemment. Il me fallait trouver un arbre cintré… Ce à quoi je suis parvenu après deux jours de recherche ! C’est un chêne provenant d’un taillis que je possède à Paillol (lieu-dit situé aux portes du bourg d’Allassac).

Quant aux sablières, ce sont des troncs de mélèzes que m’a fournis l’entreprise GILIBERT. En effet pour ces sablières, il me fallait des rondins rectilignes, d’une longueur de six mètres : impossible de trouver de telles géométries dans le châtaignier ! Mais ce mélèze provient de Haute-Corrèze, alors je suis à peu près dans mes cordes…

Sur mon tirant cintré, il me faut imaginer la structure de la ferme contre la cheminée. Que dit le dictionnaire au sujet de la « ferme » : « Assemblage de pièces de bois ou de métal, destiné à supporter les pannes et le faîtage entre deux murs ».

Pour la réaliser, j’utilise à nouveau la méthode « tenon/mortaise », avec chevilles en acacia.

Tout en tapant sur le manche du ciseau à bois avec mon maillet, mon cerveau auquel je demande rien durant cette tâche mécanique, fait un bon de trente-cinq ans en arrière… Et me voilà, âgé d’une grosse vingtaine d’années, au même endroit, en train de faire la même chose sous les conseils avisés de « Ricou » (non, non, pas le jockey Cravache d’Or, mais un menuisier-charpentier local). En effet, lors de la construction de notre maison, sur les conseils avisés de mon père, nous avions confié la réalisation de la charpente à cet homme, qui était un  de ses amis. Mon père et lui s’étaient connus sur les bancs de l’école de Perpezac-le-Noir, s’étaient engagés tous les deux dans la Résistance pendant la guerre de 1939/1945 (plus précisément dans les FTP (Francs Tireurs Partisans)), avaient combattus ensemble (d’ailleurs, un jour, lors d’une embuscade, l’un avait sauvé la vie de l’autre au péril de la sienne). A la fin de la guerre, chacun s’était marié avec une fille de Saint-Pardoux-l’Ortigier. Ils ont alors vécu toute leur vie dans cette commune, sans oublier de militer assidûment tous deux au Parti Communiste Français jusqu’à leur mort… en ayant malheureusement conscience que les idées de justice sociale qu’ils avaient défendues ne survivraient certainement pas à leur génération…

Mon père participait lui aussi à la « taille » de la charpente. Tout en oeuvrant, Ricou et lui se remémoraient les évènements marquants de leurs vies ou encore commentaient, de leurs propos et esprits pas trop ouverts à la contestation, il faut bien le reconnaître, la conjoncture de l’époque… Moi, je me contentais alors de les écouter. En revanche, pour ce qui était de donner des conseils relatifs à son métier, Ricou était loin d’être avare de propos éclairés ! Et c’est d’ailleurs grâce à ses enseignements que j’arrive aujourd’hui, tant bien que mal peut-être, à élaborer et assembler une ferme.

Depuis bientôt deux ans, je passe tout mon temps libre à bichonner mon four et, avec toute ma passion, à redonner une fonction à cet élément de notre petit patrimoine bâti Corrézien… Mais voilà : à  replonger dans le passé de mes aïeux, j’ai oublié que nous sommes aujourd’hui au XXIème siècle et non plus au XIXème ! Les mœurs ont bien changé… De nos jours, on ne regarde plus chez son voisin pour s’intéresser à ce qu’il fait ou pour voir s’il a besoin d’aide. Non, aujourd’hui on préfère parfois mettre tout en oeuvre pour lui créer des embûches, lui trouver une petite faiblesse, histoire de lui appuyer sur la tête ! C’est ainsi que, sur dénonciation plus ou moins malveillante, j’ai reçu une lettre recommandée signée du premier magistrat de la commune me demandant « de stopper immédiatement les travaux ». C’est vrai, porté que j’étais par mon enthousiasme de redonner un peu de vie à mes racines, je n’ai pas pris soin de demander un permis de construire.

N’ayant pas trop le choix, Franck m’aide à élaborer le dossier technique et Françoise s’occupe des relations avec les autorités de la commune.

Quant à moi, je continue à tailler la charpente, à préparer les ardoises en attendant la réponse, réponse que j’espère favorable à ma demande, sinon, plus que jamais, mon four aura bien porté le qualificatif de « vagabond ». A celui-ci il faudra alors ajouté celui d’ « éphémère », ce qui ne correspond plus du tout à sa fonction pérenne originelle !

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            Mon chantier étant sérieusement ralenti, et comme nous sommes au début du mois de mai, je peux me consacrer aux premières récoltes de la saison : petits pois, cerises et fraises (que je cultive bien sûr sans engrais, insecticides ni pesticides). C’est un peu tôt ? Non, car le Boico se situe sur un versant exposé plein sud à moins de 200 mètres d’altitude. On peut donc récolter les premiers fruits et légumes très tôt dans la saison.

C’est d’ailleurs pour cette raison que, jusqu’au milieu du XXème siècle, pour les paysans du coin, la culture et la récolte des petits pois représentaient certes une charge de travail importante, mais aussi et surtout un revenu non négligeable !

Les cerises et les fraises étaient surtout cultivées en vue de la réalisation d’excellents desserts.

Les fraises étaient consommées immédiatement. Tous les enfants de paysans de ma génération, dont je fais bien entendu partie, se souviennent du fameux bol de fraises au vin, que nous dégustions pour faire « quatre heures » à la saison des foins.

Les cerises, elles, avaient deux usages. Tout d’abord la consommation immédiate, natures ou dans l’inévitable clafoutis. Ensuite, le reste de la récolte était mis en conserve pour pouvoir être utilisé l’hiver.

Mes petits pois et mes fraises sont issus de variétés que j’ai pu trouver dans le commerce, En revanche, je cueille les cerises sur des cerisiers que j’ai pris soin de greffer il y a une quinzaine d’années. Malheureusement, je n’ai plus qu’une seule variété ancienne : la Reine Hortense.

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DSC_3106                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Cette année, la récolte de cerises est exceptionnelle en quantité et en qualité. Mamie Léonie est donc mise à contribution pour nous confectionner chaque semaine ses « fameux clafoutis » (que je fais évidemment cuire dans le four, tant qu’il est encore sur pieds !). Pendant ce temps, Anaïs a repris l’entraînement dans son sport favori : le cracher de noyaux, sport que nous pratiquons ensemble et pour lequel je la coache depuis une dizaine de printemps !

Mes petits ennuis avec l’administration locale ne m’empêchent heureusement pas d’utiliser le four, ainsi que de lui trouver une nouvelle fonction : celle de séchoir à chaussures après le balisage de la marche Jacques Deschamps à Vigeois, balisage que j’ai effectué avec Maurice, sous un gros orage.

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 Cette marche porte le nom de mon beau-frère dont le décès, survenu alors qu’il était trop jeune, a laissé un grand vide au Boico. Il y a fort à parier que s’il était encore là, il m’assisterait avec efficacité et bonheur aussi bien dans mes travaux qu’à chaque fournée et ne serait pas le dernier à « casser la croûte » du pain frais…

D’après la loi, l’administration a deux mois pour se prononcer sur ma demande de permis de construire.

Mais deux mois d’attente… c’est long ! Je ne peux pas résister longtemps et reprends malgré tout la mise en place de ma charpente. Toujours avec l’aide de Maurice, nous réalisons le pignon qui va servir de support au faîtage et aux deux pannes.

Ceci étant fait, je réunis à nouveau Maurice (encore !), Robert ainsi que Sylvain et son camion-grue pour la mise en place de la charpente, constituée des mêmes matériaux que les sablières. La tâche s’avère très délicate et ce soir-là, la visite de François, le patron de la scierie d’en face (et père de Sylvain), nous est très bénéfique. Dès son arrivée sur le chantier (chantier hors-la-loi donc), il voit très vite que nous avons des problèmes, problèmes auxquels son esprit avisé a vite fait de trouver des solutions Nous appliquons la méthode qu’il nous dicte et terminons la mise en place de cette charpente de façon satisfaisante. Encore une fois, merci François.

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La charpente sous un autre angle                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       Il est de tradition, lorsque une charpente est installée, de la décorer avec un bouquet de fleurs, voire même du drapeau tricolore. Moi, je reste sobre et évite au maximum de me faire remarquer… Quoique, un camion avec sa grue…

La charpente en place, je comble, toujours avec des rondins de châtaignier, les espaces sablière/panne et panne/faîtage existants dans le pignon et commence à poser les chevrons.

Le pignon terminé

Mais je me fatigue très vite. Sans cesse, il me faut en effet monter prendre les mesures sur la charpente, descendre couper le chevron, remonter le mettre en place… Et ceci à chaque chevron ! Encore une fois, je m’aperçois vite que je n’adopte pas la bonne méthode. La preuve : en coupant un chevron, j’ai oublié l’index gauche sous la lame de ma scie circulaire. Résultat, une expédition aux urgences de l’hôpital de Brive pour quelques points de suture… Ce qui vérifie au passage que, sur un chantier hors la loi, il n’y a pas de règles de sécurité, et qu’il est donc facile d’y avoir un accident !

Fort de ces constats, je vais essayer de bien préparer la pose des chevrons et je formerai à nouveau une équipe de bâtisseurs, ce qui me permettra d’aller beaucoup plus vite, avec moins d’efforts et moins de risques ! Si d’ici là, j’obtiens une réponse favorable à ma demande de permis, nous pourrons repenser au bouquet ou au drapeau…

Cette tradition n’a plus beaucoup cours de nos jours (plus le temps… productivité, quand tu nous tiens), et pourtant, elle correspondait à un moment important pour les ouvriers du XIXème siècle. Quand le dernier coup de ciseau était donné sur la charpente, ils se cotisaient ou allaient cueillir un grand bouquet de branchages qu’ils ornaient de fleurs et de rubans. L’un des ouvriers montaient l’accrocher au faîtage afin d’annoncer fièrement à tous que le gros œuvre était terminé et ce, sans incident ni accident. Ceci déclenchait le plus souvent de joyeux vivats ! Puis avec un nouveau bouquet, les ouvriers se rendaient auprès du propriétaire de la future maison, et obtenaient, en échange de la brassée de fleurs, quelques pièces qui leur permettaient, le soir venu, d’oublier la fatigue de leur dur labeur en profitant gaiement du bistrot du coin. Dans certaines régions, on fixe même sur la charpente fraîchement terminée un petit arbre (choisi selon des critères bien précis), gage de fécondité dans le futur foyer. Il semblerait en outre que ce soit cette coutume qui ait donné naissance aux épis de faîtage…

Personnellement, et à mon âge, je remplace le gage de fécondité par celui de fraternité, ce qui correspond plus à une des principales fonctions de mon four : réunir le plus souvent possible famille et amis…

Un mois et demi après la réception de la fameuse lettre recommandée, signée de Monsieur le Maire, me sommant de stopper les travaux, je reçois une nouvelle lettre recommandée, signée cette fois-ci d’un adjoint, me signifiant l’acceptation de mon permis de construire.

A noter au passage que, lorsqu’il faut sanctionner, on fait signer le Maire ; lorsqu’on a une bonne nouvelle à annoncer, l’adjoint suffit…

Entre temps, j’ai fait « profil bas » en essayant de me justifier et en décrivant précisément mon projet, ce qui m’a fait rédiger ces deux lettres.

      « à Monsieur le Maire d’ALLASSAC

                                                           Conseiller Général

 Allassac, le 23 Avril 2011

 Objet : Votre courrier recommandé référence : GF/FB/11-143

                                    Monsieur Le Maire

 Nous avons pris bonne note de votre courrier et avons contacté dès réception vos services techniques. Nous nous sommes engagés auprès de ces services à déposer dans les plus brefs délais une demande de permis de construire pour les travaux concernés.

 Nous nous permettons de porter à votre connaissance que le numéro AT 52, mentionné dans votre courrier, ne doit pas être un numéro de parcelle mais le numéro d’une cabane existant sur la parcelle numéro AT 53. En annexe, vous trouverez une copie du plan cadastral du quartier datant de 1976, sur lequel apparaissent d’autres numéros (54, 57, 59) qui, à l’époque, désignaient des cabanes aujourd’hui détruites.

 Cette cabane (AT 52) avec murs en pierres, couverte en ardoises, sans entretien, n’a pas résisté à l’usure du temps et n’était aujourd’hui qu’un tas de cailloux envahi par la végétation.

Avant son effondrement, elle était constituée de deux étages. Au rez-de-chaussée, une pièce unique avec un grand « cantou », et à l’étage une autre pièce avec fenêtre en « chien assis ».

 Au lieu de nettoyer cet emplacement, nous avons décidé, de récupérer le maximum de matériaux, de garder le chêne (arbre emblématique au Bois Communal) qui avait poussé à côté des ruines et de construire à la place un four à pain et son abri.

 Ce four à pain FAMILIAL est une copie conforme des fours que l’on peut trouver dans  certains villages de la commune, aussi bien par ses dimensions que par les matériaux utilisés.

 Sur cet emplacement se trouve aussi un puits avec murs en pierres, mais avec une couverture en attente de réfection à l’identique (toit rond en ardoises d’Allassac).

Ce remplacement de la cabane en four à pain à côté du puits sur un espace réduit a pour but de regrouper deux éléments de notre petit patrimoine Corrézien qui étaient jadis indispensables à nos ancêtres. En effet ces deux unités symboliques amenaient tous les jours l’eau et le pain sur la table.

 En prenant cette décision sans trop nous soucier du côté administratif il est vrai, nous ne pensions pas causer de soucis à l’administration communale.

 En espérant que notre projet pourra aboutir, veuillez agréer, Monsieur Le Maire et Conseiller Général, nos salutations distinguées. »

« Projet de construction d’un four à pain avec abri

  Objectif :

Construire un four à pain FAMILIAL et son abri en respectant les méthodes et les dimensions d’il y a deux cents ans tout en utilisant les matériaux de cette époque, sachant que les matériaux utilisés étaient locaux par manque de moyens de transport. Aujourd’hui, nous conservons toujours le même principe, mais cette fois pour réduire l’impact de notre projet sur l’environnement.

Toute cette démarche est mise en place pour laisser à nos enfants et à nos petits-enfants un petit patrimoine bâti très représentatif du mode de vie qu’avaient nos ancêtres jadis.

 Descriptif :

Four à pain avec cul du four et sa toiture ronds. Murs en pierres et toit en ardoises.

Abri à l’avant du four avec murs en pierres et bois, toit en ardoises.

La forme du four est inspirée par celle d’un four situé à Escourbanier commune de Monceaux-sur-Dordogne.

Les matériaux de l’abri sont identiques à un four qui se trouvait dans le village de Chauvignac commune de Saint-Pardoux-l’Ortigier.

La différence d’épaisseur entre le soubassement en pierres et le bas du mur en bois nous permet d’avoir un rebord à l’intérieur de l’abri pouvant servir de banc comme c’est le cas dans le bâtiment du four communal de Brochat, commune d’Allassac.

 Matériaux utilisés et provenance:

Pierres, bois, ardoises, terre glaise : Allassac

Sable ou tuf : Le Bigeardel, commune de Perpezac-le-Noir

Briques réfractaires : four démoli à Chauvignac, commune de Saint-Pardoux-l’Ortigier.

Soles de four et briques de cheminée : Séreilhac (Haute Vienne)

Chaux : Saint-Astier (Dordogne)

Laine de mouton : Saint-Pierre-Roches (Puy-de-Dôme).

 Implantation :

Cette implantation est prévue à la place d’une vieille cabane en ruine.

Sur cet emplacement se trouve aussi un puits, dont la rénovation se fera à la suite du four.

Ce remplacement de la cabane par un four à pain à côté du puits sur un espace réduit a pour but de regrouper deux éléments de notre petit patrimoine Corrézien qui étaient jadis indispensables à nos ancêtres. En effet ces deux unités symboliques amenaient tous les jours l’eau et le pain sur la table. »

Maintenant que je suis rassuré, je peux continuer mes travaux, que je n’avais pas tellement arrêtés d’ailleurs !

Ceci dit, cette histoire m’a tout de même marqué, dans le sens où j’ai vainement essayé de comprendre pourquoi on en est arrivé là dans les relations entre les élus d’une commune rurale et leurs administrés…

Pour ma part, et étant encore une fois « jusqu’au-boutiste », je me suis bien fait la promesse de ne plus discuter  avec ces élus (quels qu’ils soient) qui oublient qui sont leurs électeurs, et de plus mettre les pieds dans leur mairie. Je suis manifestement bien trop « con » pour côtoyer ces gens-là.

Aujourd’hui, et « c’est tendance » :tout le monde se vente farouchement de défendre notre patrimoine. Mais au juste… C’est quoi notre patrimoine ?! Si l’on se contente de parler du patrimoine bâti, c’est bien certes, mais ça n’est absolument pas suffisant ! Qu’est le patrimoine sans les hommes qui l’ont fait naître et vivre ?!

On ne peut pas restaurer un moulin sans s’intéresser à la vie du meunier.

On ne peut pas restaurer un village sans s’intéresser à la vie de nos ancêtres, voire à l’origine de leur nom ou surnom, sans oublier celle du nom du village.

D’insipides numéros ont remplacé les noms et ont détruit cette partie de notre patrimoine. C’est ainsi qu’on n’habite plus en Corrèze mais dans le 19, parfois même dans le 1-9!!!  Quelqu’un peut-il me dire comment s’appellent les habitants du 19 ? Les « dix-neuviens » peut-être ?! Quant aux trois vaches de mon grand-père, si elles vivaient aujourd’hui, elles ne s’appelleraient plus Banou, Fauvette et Rouge, mais 38, 144 et 259…

J’ai personnellement un point commun avec un ancien Président de la République : nos noms respectifs sont aussi des noms de villages corréziens. Et il en va de même pour mes petits-enfants : Anaïs partage son nom de famille avec celui d’un village de la commune de Sadroc, là où habitent ses grands-parents paternels (donc même nom). Quant à Samuel, même remarque que pour Anaïs, mais cette fois-ci à Perpezac-le-Noir, commune dans laquelle il réside.

Si vous prenez le temps de lire votre carte d’identité, vous vous apercevrez que le premier renseignement vous concernant est un numéro, votre nom n’arrivant qu’en deuxième position…

Tous ces noms, ces patronymes (l’étymologie de ce mot n’est pas due au hasard : signifie en grec « nom du père ») ne veulent plus rien dire à personne et notre nouvelle identité n’est qu’un numéro. Quoi de plus impersonnel qu’un numéro ?! Est-ce à dire que les élus de communes rurales ne connaissent plus leurs administrés que sous des numéros ? Et que lorsqu’un problème surgit, ils ne peuvent plus s’adresser directement à Mr ou Mme Dupont ou Durand, mais préfèrent appliquer la procédure n°—… ?

Ayant désormais le feu vert des autorités locales, je peux continuer à poser mes chevrons, à « sobrouna » comme auraient dit mes grands-pères ou même mon père.

Je forme donc une équipe parmi les bâtisseurs habituels. Ce jour-là, ce sont Fred, Franck et Thierry qui, tôt le matin, me rejoignent autour du four. La journée commence néanmoins par un casse-croûte (il faut bien prendre des forces !) ; puis tous les quatre, nous mettons en place les chevrons.

Les poseurs

Les poseurs

Les préparateurs

Les préparateurs

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Le travail ayant été préparé en amont, la tâche avance vite et nous avons terminé avant midi !DSCI0868

Avant de quitter le chantier, nous n’oublions pas de décorer la charpente avec les traditionnels bouquet et drapeau. Pour la photo, il me faut impérativement Anaïs et SamuDSCI0886el !

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Notre travail terminé et notre plat principal du jour cuit, nous avons tous les ingrédients pour passer à table ! Ce que vous faisons d’ailleurs rapidement… Nous commençons par une boisson gazeuse bien connue et idéale pour arroser la « lève » (opération de mise en place de toute la charpente). Puis, une nouvelle fois, nous apprécioDSCI0893ns les qualités gustatives de nos produits cuits dans ce four vagabond ressuscité, tout en discutant des travaux à venir.

DSCI0900                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 Traditionnellement, ce repas de « lève » se faisait chez le propriétaire du nouveau bâtiment. Une fois n’est pas coutume, ce jour-là, c’est sur la terrasse de Mado que nous nous installons. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être pour faciliter la sieste d’Alicia, mais peut-être bien aussi grâce à cet esprit d’équipe et de famille qui s’est niché petit à petit autour de ce four… Ou peut-être tout simplement parce que, de cet endroit, nous voyons très bien le four ! Mais peu importe le lieu, pourvu que nous y soyons ensemble…

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Avant d’attaquer le toit, j’installe les fils électriques nécessaires à l’alimentation de l’éclairage, fils que j’intègre dans les pannes de la charpente.

Les ampoules étant directement mises dans le bois, je suis obligé de prendre des lampes à LED basse tension qui ont l’avantage de très peu chauffer.

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 Là, je déroge avec tristesse à mon principe qui consiste à n’utiliser que des produits locaux : ces lampes viennent… d’Allemagne ! Cet achat me contrarie un peu mais, malgré mes recherches, je n’ai rien trouvé d’autre.

Il me faut aussi prévoir dans les pannes un espace permettant de loger assez de fil pour pouvoir sortir ces ampoules lorsqu’il faudra les changer dans les années 2040 (elles sont en effet garanties trente ans).

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 Il me paraît évident que ce ne sera pas moi qui les changerai, mais j’anticipe, car je ne veux pas qu’Anaïs, Samuel et Compagnie soient embêtés suite à des négligences de ma part !

Petite astuce pour limiter cet espace : j’utilise de petits pots individuels (vides !) de compote de pommes (pommes et pots très certainement farcis de produits chimiques, mais bon…) que je fixe à l’endroit d’arrivée du fil de la lampe. Ainsi, cet espace restera disponible même après avoir mis en place la laine de mouton.

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Malgré toutes les remarques qui me sont faites, plus ou moins ironiques, me disant, par exemple, que, vu la section des bois, ma charpente emmènerait le diable à la messe (…), je dois m’assurer de l’immobilisation des éléments entre eux. En effet, la solidité d’une charpente ne dépend pas uniquement de la section des bois, mais il faut également que l’ensemble soit indéformable. Les anciens charpentiers le faisaient par expérience ; moi j’ai eu la bonne idée de ne pas dormir pendant les cours de géométrie du lycée et je me souviens y avoir appris que le triangle est la seule figure géométrique indéformable. Pour en arriver là, il faut que les éléments de cette charpente forment entre eux des triangles. La théorie rejoignant la pratique, il ne faut pas hésiter : je dois trianguler ma charpente !

Je dois donc me débrouiller pour que les éléments de cette charpente forment entre eux des triangles. Pour cela, je vais au plus simple : j’encastre et fixe un fer cornière en travers sur les chevrons. J’ai formé ainsi les fameux triangles qui bloquent toute déformation.

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Si Ricou et mon père avaient vu cette solution, ils en auraient fait une drôle de tête ! Je leur aurais alors expliqué qu’une fois tout terminé, cette cornière ne se verrait plus… Mais ils n’auraient pas manqué de se mettre d’accord pour clamer que les jeunes ne savent plus travailler et auraient quitté le chantier en bougonnant, se dirigeant d’un même pas vers chez « La Lucette », histoire de poursuivre leur conversation autour d’un verre… Là, ils auraient rencontré Jeannot le forgeron et auraient ironisé en lui expliquant, sourire en coin, que lui, le forgeron, il avait un métier d’avenir car ils venaient de voir une charpente en bois terminée avec de la ferraille ! « Ah lo droles…Sont bê vêches vejê ! »

Je considère désormais que ma charpente est terminée et je peux maintenant commencer le toit.

LA TREVE HIVERNALE

Nous sommes au début du mois de décembre, et le four est enfin hors-eau. L’hiver étant bien présent cette année encore, je vais devoir suspendre mes travaux et attendre le retour du printemps pour attaquer la construction de la « fourniard » (le fournil). De toute façon, j’ai de quoi m’occuper car, lorsqu’on a un four et qu’on veut s’en servir régulièrement tout au long de l’année, il faut une bonne réserve de fagots de branches pour alimenter le feu ! Cet hiver, je fais donc les fagots pour essayer de me constituer un stock assez important qui me permettrait de faire brûler du bois coupé depuis deux ans. Actuellement, j’utilise le bois que j’ai coupé l’hiver dernier, bois qui n’est pas assez sec, d’où quelques aléas sur le temps de chauffe…

Malgré ces petits soucis, le four de mon grand-père assure pleinement son rôle et tout ce qui cuit dedans est toujours très apprécié !

Les 24 et 31 décembre, il est bien évident que le four n’a pas chômé pour préparer les réveillons. Il a fallu assurer la chauffe de nuit, et sans abri ! J’ai donc mis en place un éclairage de fortune… Et l’utilisation de lampes frontales n’a pas été de trop !

Le soir du 24, nous avons eu de la neige toute la soirée. Mais il en fallait plus pour nous décourager !

En effet, ce soir-là nous avions au menu (entre autres) deux oies (élevées au Boico, cela va de soi) qui attendaient d’être rôties dans le four. Lorsque ces braves bêtes sont arrivées dans nos assiettes, selon l’avis général, ça valait le coup de braver les intempéries !

C’est aussi au cours de cette soirée que nous avons pu remarquer l’évolution des technologies depuis le four de mon grand-père… jusqu’aux nouveaux jeux ayant pour support l’écran de télévision ! Comme quoi, tradition et évolution sont parfois compatibles…

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Le 31 décembre, le temps était beaucoup plus clément. Tout se présentait bien. Tout, ou presque ! J’ai commis ce jour-là une grosse erreur de « jeunesse » lors de la préparation de ma pâte à pain. Habituellement, je dissous la levure dans de l’eau tiède ; ce jour-là, allez savoir pourquoi, je l’ai dissoute dans de l’eau très chaude. La sanction fut immédiate : la pâte n’a pas levé, mais alors pas du tout ! Le four étant chaud, j’ai quand même enfourné mes maigres pâtons. Il faut dire ce qui est : ce pain, bien que tout à fait mangeable, n’était pas très bon… C’était le dernier de 2010 ; en 2011, je ferai mieux…

Courant janvier, Mamie Léonie (rappelons qu’elle aura 89 ans cette année) se propose de nous préparer des pieds de cochons en sauce pour le prochain dimanche. Evidemment, tout le monde est unanimement d’accord ! Mais pour bien apprécier ces pieds de cochon, il faut qu’ils soient accompagnés de tourtous (crêpes de sarrazin, appelées galettes en Bretagne et galetous ailleurs en Limousin). Habituellement, c’est moi qui les fais. Je prépare la pâte en respectant scrupuleusement la recette que m’a laissé ma mère qui la tenait de ma grand-mère paternelle. Pour les faire cuire, j’utilise un « pelard » (large crêpière en fonte assortie d’un long manche, lui aussi en fonte, sur laquelle j’étale la pâte pour la faire cuire) et un « paletou » (grande spatule qui sert à tourner le tourtou pendant la cuisson). Ces deux ustensiles sont, bien entendu, un précieux héritage reçu de cette grand-mère paternelle…

Mais ce jour-là, comme je projette également de faire du pain, je ne vais pas pouvoir les faire, puisque j’assurerai déjà la cuisson du pain. Eh oui : on ne peut pas être au four et au pelard ! Mais pourtant, de l’avis général, pas de pieds de cochon sans tourtous

C’est Fred qui débloque la situation : il se porte volontaire pour la cuisson des tourtous. Ce sera pour lui une grande première, car, bien que Limousin, il n’est pas Corrézien (mais il semble qu’il demanderait bien sa naturalisation, rien que pour notre nourriture !).

Tôt le dimanche matin, je commence donc la préparation du pain. Entre deux opérations, je prépare la pâte pour les tourtous. Comme promis, Fred en assure la cuisson pendant que je m’occupe du pain. Lorsque nous avons tous deux terminé, il ne nous reste plus qu’à tous passer à table et à déguster tous ces mets ! Fred s’en est bien sorti et les tourtous viennent de franchir une autre génération.

De nos jours, il reste en Corrèze quelques personnes, dont je fais partie, qui continuent à fabriquer ces tourtous pour des occasions bien précises (tartinés de rillettes et roulés pour l’apéritif ou « nature » en accompagnement de préparations à base de sauce). Ce n’était pas leur rôle dans nos campagnes et plus précisément dans ma famille où, il y a 50 ans, nous n’achetions jamais de pain. Mon grand-père faisait une fournée environ tous les quinze jours à une date fixée deux ou trois jours à l’avance. Si par malheur le pain était fini avant la fournée suivante, il était hors de question d’avancer la date de cette fournée. Pour que nous mangions toujours à notre faim, ce qui était le cas, ma grand-mère faisait alors la jonction avec les tourtous.

La cuisson se faisait dans le « cantou ». Le feu était alimenté avec du bois de châtaignier exclusivement (encore !). Les ustensiles utilisés étaient… le « pelard » et le « paletou ». Je revois encore ma grand-mère s’activer entre notre « cantou » et la grande table, où elle déposait les tourtous au fur et à mesure de leur cuisson. En face, à genoux sur le banc, mon frère et moi nous régalions à les déguster encore très chauds, et j’entends encore ma grand-mère dire : « Que las vechas de drôles vant tô me lô soba ! » (Ces garnements vont tous me les finir !). Quant à ma sœur, plus grande et plus maligne, elle en prenait un… et s’éloignait pour le déguster !

De nos jours, dans le commerce, il est facile de trouver de la farine de sarrasin, ingrédient de base de nos tourtous. Cette graine est en effet aujourd’hui importée de Chine ou d’Europe de l’Est. Malgré la provenance de ce sarrasin, les tourtous n’en demeurent pas moins Corréziens ! Mais ma grand-mère, elle la trouvait où sa farine de sarrasin (plus communément appelé blé noir à l’époque) ?!

Facile : il suffisait de cultiver cette plante, bien que ce soit un travail particulier. Les semailles se faisaient au mois de mai dans une terre pauvre et rocailleuse de préférence. Le champ qui se prêtait le mieux à cela chez nous, c’était « la Terro do Puais », qui se situe entre les Palisses et le Bigeardel. Aujourd’hui, depuis cette parcelle, mondialisation oblige, on peut voir passer les camions sur l’autoroute A20… camions qui transportent peut-être le sarrasin venu de Chine… Eh oui : en 2011, mes tourtous n’échappent hélas pas au tristement célèbre coût en CO2

Revenons à la période de mes parents et grands-parents. Durant tout l’été, ce blé noir fleurissait de façon échelonnée. Sur le même brin, on trouvait simultanément des grains déjà formés provenant des premières fleurs mais aussi des nouvelles fleurs naissantes. Ce qui avait pour conséquence de repousser la récolte vers la mi-septembre. Récolte très délicate et qui était donc faite le plus souvent à la faucille.

 Les poignées de blé noir ainsi coupé étaient regroupées (une dizaine environ) pour former des javelles.

 Plus rarement, cette tâche était réalisée à l’aide de la faucheuse à vaches équipée pour la moisson.

 Cette machine coupait le blé noir, et mon père assis dessus, réalisait les javelles, avec l’inconvénient de casser quelques brins, donc de perdre une partie de la récolte. Ces javelles étaient laissées sur le sol un jour ou deux, puis liées « de tro pécho » : nous prélevions sur la javelle une dizaine de brins et nous nous en servions de liens. Mais gare ! Bien souvent, lovée dessous, se trouvait une vipère qui y avait trouvé là un logis temporaire ! Pas question donc de ramasser ces javelles à la main : nous le faisions à l’aide d’une faucille ou d’un « yadour ».

 Ces gerbes ainsi liées étaient regroupées par quatre en appui les unes contre les autres ; elles formaient alors « de la demésellas » (des demoiselles)… qu’il fallait relever après chaque coup de vent ! Ce blé noir attendait dans cette posture la venue de la batteuse, ce qui permettait aux derniers grains formés de mûrir et non pas de pourrir comme ils l’auraient fait si la récolte avait été stockée « di lo moillo » (sorte de gerbier dans la grange).

La veille de la batteuse, les javelles étaient chargées sur « lo sorior » (charrette à vaches), puis transportées vers la ferme. Le lendemain, lorsque tout le reste de la récolte de céréales était battu, notre artisan batteur qui répondait au surnom de « Quotorze » (allez savoir pourquoi !) enlevait la lieuse qui servait à lier la paille à la sortie de la batteuse et le battage du blé noir clôturait une dure journée de travail… On pouvait alors passer à table (le fameux repas de batteuse) sans oublier auparavant de se laver à quinze dans dix litres d’eau !

Il ne restait plus désormais qu’à apporter une partie de la récolte au meunier et y retourner quelques jours après afin de récupérer la farine nécessaire pour assurer la fabrication des tourtous tout au long de l’année. Le reste de la récolte était destiné à la nourriture de la volaille et des cochons.

Vipères et « yadours » ont aujourd’hui pratiquement disparu. Fort heureusement pour nous, les tourtous leur ont survécu !

Alors ces fameux tourtous… Quelle en est la recette au juste ?

Pas difficile : 1 kilo de farine de blé noir, 1 paquet de levure de boulanger, 2 cuillérées de gros sel, 2 petites poignées de farine de blé, 3 pommes de terre moyennes, cuites et écrasées. Tout ceci dilué dans 2,5 litres d’eau tiède. La prépartion de la pâte se fait à la main.

Je laisse lever la pâte pendant 2 heures, puis je rajoute 1 litre d’eau avant d’attaquer la cuisson.

Ma mère en me donnant cette recette de ma grand-mère, m’a aussi légué le matériel de mon ancêtre. C’est pour cela que je me permets de communiquer cette recette, parce que sans pelard, paletou ou bien encore le presse-purée qui va avec, il est quasi impossible de faire de bons vrais tourtous Corréziens. Si on utilise la crêpière Téf…, la spatule Tup… et le presse-purée Moul… on fera peut-être bien des crêpes de sarrazin, mais pas des tourtous !

Revenons-en  au four… A chaque fournée, tout le monde remarque que la « fourniard » devient indispensable, ce qui me pousse à reprendre mes travaux assez rapidement. Il faut bien quelques réunions de chantier (autour d’une table… surprenant, non !) pour adopter la solution qui satisfait le mieux toute l’équipe. Ensuite, dans la semaine qui suit, je me mets aux travaux, j’adapte à ma guise les choix définis (ben oui, quand même !), mais toujours en respectant l’idée directrice : murs en rondins de bois brut et couverture en ardoise.

Il me reste encore des pierres. Avant de poser les premiers rondins, je fais donc un muret de 50 cm de hauteur.

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    La construction de ce muret ne pose pas de grosses difficultés, et c’est assez rapidement que je le termine, en ayant pris soin de réaliser un dessus de mur bien rectiligne et de niveau pour recevoir les poteaux de l’ossature et les premiers rondins.

Maintenant, il me faut réfléchir aux moyens nécessaires à la fixation de cette ossature et à la répartition de la charge sur le muret…

Après quelques nouvelles nuits de réflexion, j’opte pour le profilé en acier en « T », que je fixerai à plat sur le dessus du muret. L’aile verticale de ce profilé me servira à positionner et à immobiliser les poteaux et les rondins dans l’axe horizontal perpendiculaire au muret.

Avant de commencer la construction en bois, il me faut attendre que le mortier du muret sèche. J’ai donc quelques jours de répit, ce qui va me laisser le temps de « tuer le cochon ». Encore une tradition corrézienne qui subsiste toujours au Boico. Il y a encore seulement un demi-siècle, cette tradition était avant tout une nécessité absolue. En effet, le cochon était l’alimentation de base dans le monde paysan. Ceci pour deux raisons : tout d’abord, « dans le cochon tout est bon » ; ensuite (et surtout) cela ne revenait pas très cher d’engraisser sept à huit cochons que l’on avait achetés encore petits à la foire de Perpezac-le-Noir vers le mois de mai. Leur nourriture était produite à la ferme. On mélangeait légumes et céréales dans l’eau de vaisselle (la vaisselle se faisait alors simplement dans de l’eau chaude, chauffée sur le feu dans le cantou, et sans adjonction de produit chimique). A cette baccade venaient s’ajouter les châtaignes que les cochons consommaient directement dans les bois.

Lorsque ces cochons pesaient aux alentours de cent cinquante kilos, le plus beau était tué sur place et consommé tout au long de l’année. Le reste du lot revenait à son point de départ… et était vendu à la foire de Perpezac.

A ce propos, il se raconte une histoire qui s’est déroulée au début du vingtième siècle, dans une ferme de la région.

Un matin de foire, un paysan charge son lot de cochons dans sa carriole tirée par la mule. Avant de partir, sa femme lui recommande bien de ne pas acheter d’autres petits cochons, car maintenant que les enfants sont partis, ils ne sont plus que tous les deux, et il reste assez de conserves pour l’année suivante. Le paysan écoute, ne répond pas et donne l’ordre à sa mule d’avancer…

Arrivé à la foire, il y a beaucoup de marchands, et notre paysan se frotte les mains car, ce n’est pas d’aujourd’hui, la demande a vite fait de faire augmenter les prix ! Il laisse le soin aux premiers marchands de lui proposer un prix qu’il refuse, jusqu’à l’arrivée d’un boucher local. La discussion ne s’engage pas très bien, mais d’un commun accord, ils décident tous deux d’aller « casser la croûte » dans le restaurant que tient la femme du boucher. Ayant bien mangé, le paysan sort du restaurant, arborant un large sourire et des joues bien rouges. Il est content, il a tiré un bon prix de ses cochons.

Le restaurant donnant directement sur le foirail des petits cochons, il est obligé de traverser cette place et, malgré les recommandations de sa femme, il ne peut résister et se laisse convaincre par un vendeur qu’il connaît bien. Il lui achète huit petits cochons, qu’il charge aussitôt dans sa carriole. Il sait d’ores et déjà qu’il ne sera pas accueilli avec le sourire en arrivant à la maison avec ses nouveaux pensionnaires… Alors il n’est pas pressé de rentrer et il en profite pour se promener dans la foire. La mule, elle, patiente et habituée, attend son maître.

A Perpezac, il connaît tout le monde et à l’époque, il y a une dizaine de cafés. Ne voulant vexer personne, il boit un coup chez les uns puis chez les autres… Et lorsqu’il se décide enfin à rentrer, il un peu « fatigué » ! Fort heureusement, la mule connaît le chemin (la mule avait l’avantage sur le GPS de connaître le chemin ET de conduire son homme !).

Lorsqu’il arrive enfin chez lui, sa femme l’attend sur le seuil de la porte. Elle se doute qu’à cette heure-là, il doit être un peu éméché. Elle commence à lui faire les remontrances habituelles dans ces cas-là… Et le ton monte encore lorsqu’elle aperçoit les huit petits cochons ! Notre brave paysan, après cette rude matinée, n’a pas beaucoup d’arguments pour se justifier. Il se contente donc de laisser passer l’orage… Mais en partant s’occuper de ses cochons et de sa mule, il lâche cette réplique désormais célèbre dans la région : « tant que yo viorai, yora un gognou ô lo maisou ! » (Tant que je vivrai, il y aura un cochon à la maison !).

Les choses ont bien changé depuis cette époque… Les foires aux bestiaux de Perpezac ont disparu… De la dizaine de bistrots, il n’en reste plus qu’un… Les cochons ne boivent plus l’eau de vaisselle (ils ne résisteraient pas longtemps !). En revanche, il reste quelques paysans (que l’on appelle aujourd’hui agriculteurs), qui élèvent encore quelques cochons avec les produits de la ferme, et qui n’éprouvent aucune difficulté à les vendre, une fois engraissés, à des particuliers.

Pour l’équipe du Boico, il est assez facile de trouver un bon cochon, mais n’oubliant pas mes origines (je n’essaie d’ailleurs surtout pas), c’est dans la ferme où est née ma mère que j’achète tous les ans mon cochon. Cette ferme se situe à La Malinie sur la commune de Saint-Pardoux-L’Ortigier, à mi-chemin entre Chauvignac (là où se trouvait le four de mon grand-père) et la « maternité » des Palisses où je suis né. Le tout sur un rayon d’un kilomètre…

Tous les ans donc (parce que… «  tant que yo viorai… »), un matin de février, je pars avec mon ami Marcel (un homonyme mais pas le papa de Frac), pour aller acheter un cochon à La Malinie. En passant aux Palisses, je passe chercher mon frère et, en arrivant dans la cour de la ferme, nous sommes accueillis par Patrick, le paysan qui travaille et habite là depuis le jour de sa naissance ! Depuis l’époque où y vivait ma mère, le plan général n’a pas beaucoup changé. Dès que nous descendons du camion, Patrick nous invite à entrer dans la maison pour « casser la croûte » (tradition oblige). Il n’est que huit heures et demie, mais sur la table nous attendent charcuteries, côtes de porc ou encore magrets de canard… Et c’est toujours avec un peu d’émotion que je m’assoie sur le banc, devant la table, dans cette cuisine à peine modifiée dans laquelle ma famille maternelle a vécu de longues années… Eh oui, le cochon que je vais choisir et moi, nous avons pratiquement les mêmes origines («  tant que yo viorai… »)…

Le choix fait et notre bête abattue, avec l’aide de Mado,nous réalisons l’après midi même boudins et pâté de tête.

Le lendemain, dès huit heures nous bénéficions du renfort de Robert, ce qui n’est pas de trop car le programme est très chargé. Dans le courant de la matinée, l’équipe s’étoffe encore avec l’arrivée de Mamie Léonie, Anaïs, Loïc, Delphine, et Fred. Pendant que Marcel et Robert découpent les quartiers et trient la viande, le reste de l’équipe s’occupe des pâtés, chipolatas et saucisses. Quant à Françoise, elle prépare la daube pour le repas de midi. Ce plat (je le reconnais, plus provençal que corrézien !) est un mélange de différents morceaux du cochon (viande, cœur, foie, poumon) mijotés dans une sauce dont Françoise a le secret. A l’heure du déjeuner, toutes les préparations sont terminées. L’après-midi est consacré à la stérilisation de boîtes et bocaux, au salage du petit salé et du jambon.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Au programme du troisième et (dernier !) jour consacré au cochon, il ne reste plus qu’à stériliser les boîtes et bocaux de rillettes, congeler ce qui doit l’être, dégraisser ustensiles et sols, et…préparer le repas du lendemain soir, repas qui clôturera ces trois jours de travail et auquel la famille et les amis seront invités. Ce serait dommage de s’en priver : « cochonnailles » et « ripailles » riment tellement bien…

Mais désormais au Boico, un tel repas ne peut s’imaginer… sans allumer le four ! Je fais donc une fournée de pain et Mamie Léonie nous confectionne un délice de tartes aux mirabelles. Je fais également cuire des pommes qui accompagneront les boudins. Ces pommes sont celles que j’ai ramassées sur mes pommiers. Février touche à sa fin mais il m’en reste encore, simplement conservées dans une cave et sans traitement.

Le menu de ce repas est donc constitué de rillettes, de pâté de tête, de boudins et tout le monde à l’air d’apprécier les qualités gustatives de cette viande du terroir. Avant de partir, et parce que c’est aussi ça la vie à la campagne, j’offre à chaque invité un sac prêt à congeler composé d’un morceau de viande et de quelques boudins…

LE TOIT ROND

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     L’automne étant là et ayant cette année une bonne récolte de pommes, une nouvelle occasion se présente donc de faire une petite réunion autour du four avec cette fois l’objectif de faire du cidre. Avec toujours (ou presque) la même équipe, au moins ceux qui sont disponibles.

Le samedi, Mado, Maurice et moi nous ramassons les pommes et préparons le chantier pour le lendemain. Françoise nous prépare le repas. Pour nous faciliter la tâche, nous regroupons les moyens de production autour du four. L’expression « moyens de production » est peut-être un peu exagérée, mais si je dis « coupe-racine et pressoir », c’est moins ronflant !

Le dimanche matin, je suis debout à 5 heures pour préparer le pain et à 10 heures, nous nous retrouvons tous autour du four. Avec mon équipe habituelle, je m’occupe de la cuisson du repas dans le four. Aujourd’hui, au menu : flammekueche de Mado, pain au seigle, pommes de terre à la blao-blao aux rillettes de Françoise, « flognardes » aux pommes de mamie Léonie et marrons de Raymond.

                                                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Pendant ce temps, les costauds broient et pressent les pommes pour en extraire un jus de pommes pour tout dire excellent !

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Les derniers invités arrivent vers 12h30 et tout ce petit monde passe à table afin de déguster tout ce qui a cuit dans le four… complété par les desserts apportés par Betty, Danièle et Renée… Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on mourra de faim !

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 

 

Les pommes utilisées pour faire ce jus de pomme sont aussi un petit patrimoine que m’a laissé, sans le savoir, mon père, le père François, décédé il y a dix ans. Lui aussi, tout comme son père, devait compléter les revenus de la ferme. Il avait pour cela un petit commerce de fruits. Cette activité l’occupait trois mois de l’année. Chaque automne, il collectait (au départ avec son vieux camion Berliet du début du siècle) pommes, noix et châtaignes dans les fermes, et il les revendait aux grossistes d’Objat pour les noix et aux fabricants de confitures d’Objat, Périgueux ou Biars-sur-Cère pour les pommes et les châtaignes.

Dans les années cinquante, il y avait aussi un autre débouché pour les pommes. Ces pommes étaient cueillies en septembre/octobre par les paysans, puis stockées sur de la paille dans les granges jusqu’au mois de décembre. Pendant les vacances de Noël, mon frère et moi nous suivions mon père qui faisait la tournée de ces fermes pour récolter ces pommes. En général nous étions nourris dans la ferme, et même s’il est vrai que nous travaillions toute la journée à genoux et dans le froid, je ne garde que de bons souvenirs de ces moments-là. Certains diront que ce n’était pas très bien de faire travailler des gamins dans ces conditions, mais mon frère et moi étions demandeurs ; et puis nous avions l’habitude. C’était notre console de jeux à nous ! Mais « je vous parle d’un temps que les moins de… cinquante ans ne peuvent pas connaître… ». En effet, mon frère est né une veille de Noël à la maternité (!) des Palisses dans une chambre exposée en plein nord et aux murs en torchis. Quant à moi, l’hiver de mes trois ans, je mesurais tout juste un mètre… et mon père m’emmenait avec lui dans les bois. Trop petit pour ça me direz-vous ? Eh bien non : ma taille lui était idéale pour mesurer ses piles de bois !!!

Revenons aux pommes ramassées dans les fermes et conditionnées dans des caisses… Il en faisait quoi le père François ? Il en vendait une partie aux grossistes de Brive et d’Objat, et le reste partait dans le Tarn. C’est d’ailleurs ce débouché vers le Tarn qui a été le dernier pour notre pomme de « plein vent ». En effet parmi les clients de cette région, il y avait beaucoup de mineurs qui préféraient ces pommes rustiques à des prix raisonnables aux nouvelles espèces de pommes qui arrivaient sur les marchés dans les années soixante. Certes ces nouvelles pommes étaient sans défaut… mais à quel prix (pour le porte-monnaie, la santé et notre bonne vieille planète) ?!

Devenu à mon tour adulte et me souvenant des commentaires que faisait mon père à propos de telle ou telle pomme, parmi la vingtaine de variétés que j’ai pu connaître grâce à son activité, j’en ai retenu six. J’ai fait mon plan de porte-greffe, récupéré les greffons, planté et greffé une dizaine de pommiers qui me permettent désormais de manger des pommes de début septembre à fin mai. Il va de soi que je récolte ces pommes sans aucun traitement ET avec les aléas que cela comporte, mais c’est un choix délibéré de ma part.

Début septembre, je récolte la « Banane » : pomme rouge qui ne se conserve que jusqu’à la mi-novembre.

Mi-octobre, c’est au tour de la « Vigneronne » : excellente variété qui se déguste crue et qui est la championne pour le jus de pomme. Elle se conserve jusqu’à la fin décembre.

Début novembre, je ramasse la « Reinette Dorée » : variété qui, à mon avis, tient le mieux à la cuisson. Conservation jusqu’à fin janvier.

Toujours début novembre, je cueille la « Sainte Germaine » et la « Fausse Sainte Germaine » : certainement les meilleures sur le plan gustatif. Conservation jusqu’à fin avril.

Enfin, mi-novembre, je récolte la « Porge » : variété très rustique qu’il ne faut pas manger avant le mois de février et qui se conserve jusqu’à fin mai.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Avec ces cueillettes, nous pouvons donc dans la famille profiter des bienfaits des pommes pendant près de neuf mois ! Compotes pour les petits et les grands, pommes au four, flognardes, crumbles… Ca tombe bien, mes filles ont une vilaine tendance à être (bien malgré elles, on s’en doute) allergiques aux traitements pesticides ! C’est donc au « Boicobio » qu’elles viennent se fournir. Et Delphine garde encore en mémoire des propos que mon père lui a tenus un jour aux Palisses lorsqu’il était gravement malade. Il ne se plaignait jamais de ce mal qui le contraignait néanmoins à se nourrir exclusivement par sonde gastrique. Pourtant ce jour-là, il lui a dit : « Tu sais ce qui me manque le plus ? C’est de pouvoir manger ma pomme de tous les jours… ». Et je n’oublie pas non plus les « pompichous » de mon grand-père maternel (petits pains fourrés de quartiers de pommes à déguster dès la sortie du four)…

La pomme a une place à part entière dans la famille !

Malgré toutes ces petites réunions fort sympathiques, les travaux du four se poursuivent.

Après avoir posé de la volige, je dois m’attaquer à la pose des ardoises. Utilisant les conseils de Francis, j’ai taillé et trié une quantité d’ardoises que j’estime suffisante. Le critère de tri, c’est la longueur. Sur le toit, chaque rangée est constituée d’ardoises de la même longueur. C’est seulement pour la rangée du bas qu’on utilise les plus longues (la longueur diminue donc en montant vers le faîtage). Pour un néophyte comme moi, je dois trouver une méthode qui permette de poser des rangées concentriques. Et oui : mon toit est toujours rond !

Pour la première rangée, je vais au plus simple : je suis le profil extérieur qui a été donné par la volige.

Pour les deux rangées suivantes, j’utilise un gabarit que je mets en butée sur l’ardoise inférieure à celle que je pose.

J’ai posé trois rangées… et j’ai déjà de gros doutes sur la concentricité de mon affaire ! Rappelez-vous… Lors de la construction de la voûte du four, au bout de trois rangées de briques, j’avais tout démoli et cherché une méthode un peu plus… rationnelle. Là encore, il va falloir que je me montre méthodique ! Mon toit est composé de deux rectangles et d’un demi-cône. Ces trois éléments ont un seul point commun qui se situe en bout de faîtage au sommet du demi-cône ; il est donc facile à trouver. A ce point, je fixe un tire-fond qui me servira d’axe de rotation pour ma ficelle qui, elle, me permettra de tracer de façon précise le cercle qui, pour chaque rangée, définira la position du bas des ardoises.

Pour la distance entre chaque rangée, il est de coutume de faire recouvrir aux deux tiers la surface de l’ardoise de la rangée précédente. Le pureau (nom donné à la partie de l’ardoise qui reste visible) est donc de un tiers.

 

 Autre terme technique que j’ai rencontré dans ce nouveau métier : le solin qui est le joint mis en place entre le toit et le mur.

Malgré ma méthode, la pause n’avance pas très vite ! Dans la partie ronde, les ardoises sont toutes à tailler en trapèze. Mais le résultat semble correct, et je me permets même de poser à mi-hauteur deux rangs d’ardoises taillées en ogive (récupérées telles quelles sur le four de Chauvignac).

Mais un nouveau problème surgit rapidement : l’accessibilité ! Je suis obligé de mettre en place un échafaudage conséquent autour de ce fameux toit rond…

 

 

A l’aide de cet échafaudage, le toit devient plus accessible. Je continue à poser mes ardoises, mais la chose se complique de plus en plus en approchant du faîtage. Pour la partie plane, pas de problème. Mais pour la partie ronde, je dois tailler des ardoises de plus en plus petites et je me demande déjà comment je vais faire pour les deux ou trois dernières rangées !

Fidèle à ma politique « copier sur les autres n’est pas forcément tricher », je me plonge dans la documentation que j’ai accumulée depuis le début de mon chantier. Malheureusement, je ne trouve rien qui puisse m’aider. J’ai seulement trouvé une photo du toit rond d’un puits qui se trouve à Lostanges (à proximité de Meyssac, 19). J’ai bien pensé à me rendre sur le site pour étudier cette toiture de plus près, mais cela fait tout de même un peu loin…

Néanmoins, par un après-midi pluvieux, je prends ma voiture et sillonne mes coins de Corrèze que je connais très bien pour essayer de trouver un four, un puits ou tout autre toit rond en ardoise du pays. Après avoir visité les communes d’Allassac, Saint-Bonnet-L’Enfantier, Sadroc, Donzenac, Saint-Pardoux-L’Ortigier, je finis ma petite balade à Perpezac-le-Noir (certainement la commune que je connais le mieux) ; mais toujours rien. J’en profite pour rendre visite à mon « filleul » (vous savez, Frac, le chien de Danièle et Marcel) qui, trahi par sa gourmandise, a mangé quelque chose de pas très bon, voire empoisonné ; il a fallu tous les bons soins de Marcel pour le remettre sur pieds. Me voilà rassuré : il va mieux ! Danièle et Marcel connaissant leur commune encore mieux que moi, je leur fais part de ma recherche. Ils ont vite fait de m’indiquer quelques puits qui doivent correspondre. Je suis leurs indications, me rends sur les lieux et constate que les murs des puits en question sont bien ronds, mais tous ont un toit pyramidal… Quant aux fours avec un toit rond en ardoise, ça reste introuvable… Je me résigne à rentrer bredouille et traverse le bourg de Perpezac pour rentrer à Allassac. Et là, surprise ! J’aperçois une maison récente comportant en façade un toit rond en ardoise ! Ravissante maison d’ailleurs. La forme de ce toit est semblable à celle du toit de mon four et le professionnel qui a réalisé cette magnifique couverture a fait la jonction entre le faîtage et le demi-cône à l’aide d’une tôle en zinc.

Ayant (enfin !) trouvé la solution , il ne me reste plus qu’à la mettre en oeuvre…

Facile à dire… Je monte sur le toit avec une feuille de zinc et des cisailles pour tailler sur place ce « chapeau » qui doit terminer la partie conique avant la pose du faîtage. Plus je découpe de morceaux de zinc… et moins ils correspondent à ce que je suis en droit d’espérer ! Réfléchissons (encore…) : il existe peut-être une solution théorique. Cette fois, je m’assois sur le toit et sous mes yeux se trouve encore la ficelle qui m’a servi à tracer la position des ardoises sur le demi-cône. Une distance constante donnée par une ficelle qui tourne autour d’un point fixe, cela doit s’appeler un rayon ça, non ? Et si j’ai bonne mémoire, un centre et un rayon doivent suffire à définir un cercle… Je descends donc du toit après avoir mesuré mon rayon et la longueur développée de mon cercle. Il ne me reste plus qu’à tracer une épure sur une feuille de journal, découper la forme ainsi obtenue et la présenter sur le toit !

 Cette fois, la découpe correspond à celle que je cherchais ! Je découpe alors la même forme dans la feuille de zinc et la mets en place en ajustant le profil théorique avec les ardoises.

 

Je pose ensuite le faîtage et pour orner mon toit, j’ajoute un épi. Mais je ne suis pas entièrement satisfait et je trouve que cela ne suffit pas : il faut que je personnalise davantage ce toit. Ma femme me propose de le terminer par une crête de faîtage. Pourquoi pas… mais quelle forme peut-on y mettre ? Ce que je trouve dans le commerce ne me convient pas ou bien est hors de prix. Et je ne veux pas de fleur de lys comme on en voit souvent, car ce symbole ne me correspond absolument pas… Je propose à Françoise une vieille lame de faucheuse… mais manifestement, ce n’est pas tout à fait ce qu’elle voyait !

Lors d’un de nos traditionnels conseils de famille du dimanche midi (bon d’accord… appelons plutôt ça une énième occasion de nous retrouver autour d’une table !), une forme est définie. Mais là encore, je ne suis pas tout à fait satisfait… et comme c’est moi qui vais la fabriquer, je m’octroie, lors de sa réalisation, le droit d’y apporter quelques petites modifications. Je fixe enfin cette crête sur le faîtage et considère, avec plaisir, que mon toit est enfin terminé !

 Il ne me reste plus qu’à démonter l’échafaudage pour découvrir le « cul » du four terminé. Cette nouvelle étape n’est pas la plus simple… mais ça y est, c’est fait !

Depuis plus d’un an que j’ai commencé ce chantier, j’ai abordé et découvert plusieurs métiers, du maçon au couvreur, en passant par le charpentier. Bien sûr, tous ces métiers existent encore de nos jours. Mais les matériaux et les méthodes que j’ai employés sont ceux utilisés il y a plus d’un siècle. Dans ce genre de construction, le maçon et le charpentier, pour réussir leur oeuvre, appliquent des méthodes strictes qui s’appuient sur les fondamentaux de la géométrie et ne doivent pas en dévier. Quant au couvreur, certes il lui faut aussi employer une méthode stricte ; mais il faut aussi qu’il garde à l’esprit que la taille de chaque ardoise est différente, et qu’en outre chaque ardoise va influer sur la suivante (notamment pour un toit rond) ; il lui faut donc un sacré coup de main !

Je dois rappeler que, bien qu’étant (tant bien que mal) parvenu à bâtir un mur en pierres, à faire une voûte de four, ou bien encore à poser des ardoises, je ne peux ni ne veux prétendre rivaliser avec les gens du métier ! Tout simplement, tranquillement, j’ai travaillé à mon rythme, sans tenir compte d’une quelconque notion de rentabilité. Notion qui, pour le coup, est essentielle quand on veut vivre de son métier d’artisan…

Cette expérience personnelle m’a d’ailleurs permis de me conforter dans l’idée que je me faisais de l’Artisanat en général et des Artisans en particulier. Il me semble tellement dommage que depuis de nombreuses années, nos dirigeants se soient employés à ne pas valoriser, voire à dévaloriser ces métiers auprès des jeunes… Comment, en outre, le dictionnaire peut-il se contenter de définir le mot « artisan » par un simple « travailleur manuel » ?! Il est indéniable que le cerveau de ce « travailleur manuel » cogite tout autant (voire plus ?) que celui de l’académicien qui a imposé cette définition qui me semble plus qu’étriquée… Qui, de l’intellectuel chargé du bon usage des mots ou du compagnon perpétuant et améliorant des techniques traditionnelles ancestrales, est le plus « immortel » des deux ?…

La charpente et les premières chauffes

Il me faut tout d’abord démolir la cabane provisoire qui avait été bâtie pour abriter le four le temps de sa construction (tiens, il y avait longtemps que je n’avais rien démoli !). Fred et Thierry se portent volontaires pour m’aider. 

Il me faut aussi penser à la couverture qui sera bien évidemment réalisée en ardoises récupérées pour la plus grande part sur le four de Chauvignac. Sont-elles issues de la carrière d’Allassac ou de celle de Travassac (situées à 10 km l’une de l’autre) ? Je ne connais pas leur provenance exacte, mais elles viennent forcément de l’une des deux. 

Il faut savoir que depuis le XVIème siècle, notre Corrèze exploite ces deux gisements. Après avoir connu leur heure de gloire et employé plusieurs centaines d’ouvriers au début du XXème siècle, ces ardoisières ont commencé à décliner après la Deuxième Guerre Mondiale. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un seul exploitant de ces sites schisteux. L’ardoise de Corrèze (Travassac et Allassac) bénéficie d’une grande réputation : elle est imperméable, résistante au choc (grêle par exemple) et aux années (voire même aux siècles). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on la retrouve un peu partout en France (Abbaye du Mont St-Michel, Eglise du Sacré-Cœur de Rodez…) mais aussi tout simplement, et cela va de soi, sur les toits de villages comme Allassac, que ce soit en Limousin ou même en Auvergne. 

Revenons aux ardoises de mon four. Il me faut les trier, les retailler et les classer par longueurs. Attaquer ce nouveau travail là tout seul me fait un peu peur. Un jour de pluie (il faut dire que pendant ce mois de juin, il y a le choix !), j’invite Francis, mon « co-grand-père » de Samuel, qui possède un savoir-faire non négligeable dans ce domaine. Nous nous installons dans la grange et tout au long de la journée, j’essaie de m’approprier la technique de taille de ces ardoises. A la fin de la journée, le nombre d’ardoises taillées par Francis est plus important que le mien (et elles sont certainement mieux taillées…), mais je pense maintenant être capable de continuer seul. 

 

  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Le temps se remet au beau (enfin !) et je peux revenir à la charpente. Première opération : pose de la sablière. La sablière est une poutre de bois positionnée horizontalement et sur laquelle repose la charpente (on l’appelle ainsi car on la posait sur un lit de sable, qui en fuyant, permettait à la poutre de prendre sa place lentement). Quand il s’agit de murs droits, il suffit d’une pièce de bois droit. Dans le cas du four, le mur extérieur étant en demi-cercle, il me faudrait un morceau de bois lui aussi en demi-cercle et… c’est moins facile à trouver ! Encore une fois j’appelle au secours et mon frère Raymond me souffle une idée qui retient toute mon attention. Lui, l’éternel forgeron de formation et de talent, me propose de cintrer un profilé acier en forme de U selon le demi-cercle du four. Il faut savoir écouter les gens ingénieux et c’est donc ce que je fais. Je fixe ensuite à ce profilé des secteurs de bois qui composeront la sablière. Un coup de rabot sur le coté extérieur… et la sablière est devenue circulaire ! 

 

Tout en commençant la charpente, je peux décoffrer le linteau et l’arc de décharge, opération qui se déroule normalement. 

 

Mais très vite, je ne peux résister à l’envie d’allumer le feu dans ce four, puisque c’est quand même sa fonction première !!! Petite appréhension cependant… Pour cette première, je choisis donc un moment où le Boico est désert. Personne autour avant de craquer l’allumette… 

 

 Les premières flammes commencent à lécher la voûte qui très vite devient toute noire. 

  

 Cette première chauffe est dite de désenrhumage. Il s’agit de faire disparaître progressivement toute l’humidité contenue dans les différents matériaux. C’est une opération qui doit être rapide car délicate. Une chauffe trop importante pourrait en effet causer des dommages dans le four. C’est ainsi que durant une semaine, chaque soir, je fais une flambée, en augmentant à chaque fois l’intensité. Dès que la voûte commence à blanchir, je décide d’y faire cuire une première pizza. Il faut bien que ce four serve à nous nourrir, depuis le temps que je m’y casse la tête ! 

Je sais : mes grands-parents corréziens ne connaissaient probablement pas la pizza de Naples ! Mais cette pizza était à l’origine étroitement liée au travail du… boulanger napolitain ! Tout comme, d’ailleurs, la tarte flambée alsacienne ou flammekueche (qui remonte à l’habitude paysanne de faire cuire le pain tous les quinze jours ; ces jours étant jours de fête dans les campagnes alsaciennes, on étalait la pâte à pain qui restait et on la recouvrait de crème ou de fromage blanc, d’oignons et de lardons ; une fois passée dans le four, on la dégustait avec les doigts, moment de partage festif…). 

La pizza servait à vérifier la bonne température du foyer avant d’y déposer les pâtons à cuire. Elle permettait aussi de tirer parti des dernières braises et servait de repas à la famille du boulanger italien. C’est un plat qui nécessite effectivement une chauffe rapide, alors tant pis pour l’authenticité liée à mes ancêtres limousins ! Il n’en reste pas moins que flammekueche et pizza sont des plats du petit peuple qui permettaient à l’origine de ne rien gaspiller en utilisant les restes : retour au mode de vie, économe par nécessité, de mes aïeux ! 

Toujours très prudent, je choisis un moment où le Boico est encore désert. Loupé ! Par l’odeur alléchées, voici une dizaine de personnes qui débarquent pour assister à la cuisson de cette fameuse première pizza 

 

 Tout se passe bien, la cuisson est correcte et la pizza est excellente. Seul problème : la pizza, pour tout ce monde, est un peu trop petite ! 

 

Nouvelle chauffe rapide et autre essai de cuisson d’une pizza… Nouveau résultat encourageant. 

Deux ou trois chauffes de plus… Le four réagit bien et toute la voûte commence à blanchir. 

Mais pour utiliser mon four, il me faut les outils nécessaires… Lors de la démolition, j’avais récupéré le « reur » (racloir) de Chauvignac. Je me fabrique un « écoubié » (balai en genêts) et Francis me prête une « fourne » (pelle de boulanger). 

Petite explication sur le rôle de ces outils… 

Le « reur » sert à écarter les braises sur la sole pour avoir une température uniforme de cette dernière et à sortir braises et cendres du four en fin de chauffe. 

  

L’« écoubié » sert à balayer le four avant d’enfourner. 

 

La « fourne » sert à enfourner et à sortir tout ce que l’on peut mettre dans le four. 

 

Si ma mémoire est bonne, mon grand-père faisait cuire, en même temps que le pain, les pommes de terre à la « blao-blao » (pommes de terre coupées en tranches, lardons et ou chair à saucisse et persillade). Qu’à cela ne tienne : je me lance dans une chauffe devant aboutir à la température nécessaire à la cuisson du pain, mais, toujours prudent, je ne prévois pour cette fois encore que la cuisson d’un plat de pommes de terre à la « blao-blao »… préparation que, là encore, grande première, j’ai confectionnée moi-même ! 

Lorsque je pense que le four est assez chaud, je sors les braises, je balaie et teste la température à l’aide d’une feuille de journal tenue au bout d’une fourche. Cette feuille s’enflamme au bout de 30 secondes, ce qui veut dire que le four est un peu chaud pour du pain (à bonne température, elle doit seulement brunir sans s’enflammer). J’attends donc un peu, enfourne mon plat et deux heures plus tard, la cuisson est satisfaisante et tout le monde autour de la table se régale en dégustant cette vieille recette corrézienne. 

 

  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Trois jours plus tard, jour de 14 juillet, nouvelle chauffe ! Mais cette fois, avant de démarrer, j’ai réussi à convaincre Mado, mamie Léonie et Françoise de m’aider dans la préparation du repas. Je chauffe mon four et en teste la température avec la méthode déjà utilisée du journal mais aussi avec celle de l’épi de blé. Il s’agit là de planter un épi dans la fourne et de déposer le tout dans le four (porte ouverte, forcément !) durant environ une minute ; la couleur que prend l’épi est celle que prendra le pain à la cuisson (si l’épi noircit, il faut attendre quelques minutes et recommencer le test). Ces deux méthodes me révèlent une nouvelle fois que mon four est un peu trop chaud. Je le laisse donc refroidir un peu et commence la cuisson des différents plats en adaptant les temps de cuisson en fonction des conseils de mes cuisinières préférées. Ce jour-là, au menu nous avons : 

Saucisses cocktail en feuilleté 

 

Rôti de porc / pommes de terre à la « blao-blao » 

Clafoutis 

Croustillants (feuilles de brick) aux fruits rouges 

Tuiles 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       … Tout ceci, bien évidemment, cuit dans le four, et avec une cuisson tout à fait correcte. Même si je suis assez satisfait de ce que j’arrive à réaliser dans mon four, il me manque encore le plus important pour un four à pain : maîtriser la cuisson du… pain ! Promis, ce sera la prochaine étape… 

Chose promise, chose due… 

Puisque toute l’équipe me réclame du pain, un vendredi soir, je me lance enfin dans la préparation de tourtes. Je commence par une petite quantité de farine (c’est plus prudent !), un peu de levure de boulanger, de sel et d’eau. Je pétris l’ensemble. Le lendemain, je continue la préparation, sépare les pâtons et laisse lever (je donnerai la recette précise ultérieurement… si un jour elle est au point !). Pendant que le pain lève, j’allume le feu dans le four. Une heure et demie plus tard, il est chaud. Le pain, lui, n’a pas trop levé… Tant pis pour lui ! Je nettoie mon four, en teste la température… et enfourne mes premières tourtes ! 

Dix minutes plus tard, j’ouvre la porte et constate que le pain a pris une belle couleur dorée et suis rassuré sur la cuisson (de mémoire, lorsque le four est trop chaud, le pain brûle tout de suite). Je laisse s’écouler une demi-heure de plus et me dirige à nouveau vers le four pour effectuer un nouveau contrôle. 

Mais arrivé à quelques mètres, l’odeur émanant du four, la bonne et chaleureuse odeur du pain en train de cuire, me transporte une cinquantaine d’années en arrière… Et voilà que je me retrouve, gamin, devant le four de Chauvignac et devant « la fourniar » (le fournil). Mon grand-père est là lui aussi, assis, occupé à se rouler son immuable cigarette de tabac gris, son chien Tayaut à ses pieds. Je n’ai pas encore de montre, je suis trop jeune, mais il doit être environ dix heures et mon grand-père récupère de sa dure matinée. Il n’a guère plus de soixante ans, mais depuis l’enfance, il a toujours été frêle et de faible constitution (à 18 ans, lors de la déclaration de guerre en 1914 et alors qu’on envoyait en masse les hommes de tous âges au front, lui avait été réformé, c’est dire…). Mais cela ne l’a pas empêché de travailler dur toute sa vie comme fermier dans une importante ferme voisine. Et le résultat de son travail, il en est fier ! Il y a quelques années, ma grand-mère et lui ont enfin pu s’acheter cette petite ferme de Chauvignac, et maintenant, ils sont CHEZ EUX ! Comme j’y vais quasiment tous les jeudis (à l’époque, les mercredis étaient les jeudis…), il en profite pour faire le pain, parce qu’il a certainement déjà compris, lui avant tout le monde, mon attachement à ce four et à tout ce qui gravite autour (et dedans !). 

Ce matin donc, il s’est levé à cinq heures. Il a pris sa canne, sa casquette, ses sabots et s’est occupé de ses trois vaches (lo Bonou, lo Fauvette et Lo Roujo) ainsi que de sa dizaine de brebis. Puis il a pétri son pain (qu’il avait mis à lever la veille), a chauffé son four et y a enfourné ses tourtes. Alors qu’elles sont dans le four depuis une demi-heure, il me dit : « Vai dire ô to moair-grande de pourta lou clofoutchi » (Va dire à ta grand-mère de porter le clafoutis)… 

Cette voix familière issue de mon souvenir me ramène soudain en 2010… 

Après cet instant teint d’odeurs et d’un peu d’émotion, je contrôle à nouveau la cuisson de mon pain : cela me semble évoluer correctement. 

Une heure et demie après avoir enfourné, je sors mes tourtes. Leur aspect extérieur me paraît satisfaisant. 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Je les laisse refroidir et en tranche une pour en évaluer la texture de la mie : elle est assez aérée mais doit pouvoir l’être encore davantage. 

Le lendemain, je note que la croûte de ce pain a durci, ce qui signifie vraisemblablement que mon temps de cuisson a été trop long. 

Pour une première fournée, le résultat est cependant satisfaisant. Je constate aussi que les sceptiques du début de l’aventure se lèchent maintenant les babines et commencent à saliver à l’annonce des chauffes à venir ! 

Certains points vont malgré tout pouvoir être améliorés (préparation de la pâte et cuisson notamment). Mais j’ai déjà atteint mon objectif : faire du pain dans le four de mon grand-père ! S’il pouvait s’asseoir sur la margelle du vieux puits qui se trouve là, à côté de moi, il marmonnerait très certainement dans sa moustache grise quelque chose qui ressemblerait à « Si m’eperavo de cò ! Ché bè vécho mon drole… » (Si je m’attendais à ça ! Tu es bien canaille mon petit…). 

Après les émotions de la première fournée, il me faut continuer à progresser. Pour cela, le temps d’une matinée, je fais appel à Francis et Raymond, que j’ai d’ailleurs déjà sollicités plusieurs fois dans différents domaines. Ce sont des gars qui savent tout faire ! Donnez une tondeuse à gazon hors d’usage à Francis, il vous en fera un motoculteur tout neuf… Donnez un morceau de ferraille à Raymond, il le façonnera à volonté pour en faire l’objet que vous désirez. Quel lien avec le pain me direz-vous ?… Eh bien ces deux-là savent tout faire… Y COMPRIS LE PAIN A L’ANCIENNE ! Avec eux, mon rôle se limite à regarder et à noter leurs « petits trucs », les astuces qui font la différence. Résultat de cette matinée : à la sortie du four, le pain est excellent, juste un peu trop cuit, et moi, j’ai beaucoup appris. 

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Deux jours plus tard, j’essaie de mettre en application leurs enseignements et le pain que je réalise est tout à fait correct : la texture de la mie et la cuisson correspondent à ce que j’espérais depuis deux ans. Afin d’être plus sûr de moi, je fais une nouvelle fournée qui confirme ces bons résultats. Je me permets même de faire cuire deux « flammekueche » préparées par Sandrine qui est en vacances chez belle-maman, c’est-à-dire Mado. Pour cela, lorsque mon four est chaud, je rassemble les braises sur les côtés du four, et les fais cuire trois minutes, porte du four ouverte. 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  Maintenant que je maîtrise un peu mieux le sujet (et comme promis), je peux donner ma méthode (sachant qu’elle peut encore s’améliorer). Il me faut tout d’abord préciser que, pour en arriver là, j’ai investi dans une maie et un pétrin… Alors : 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            * Réveil à cinq heures (ah oui, c’est tôt, mais on est boulanger ou on ne l’est pas !). 

* Cinq heures et demie : je mélange au pétrin mécanique 5 kg de farine de blé T65 avec 3 litres d’eau tiède pendant 5 minutes. Puis je laisse reposer pendant 25 minutes dans le bol du pétrin. 

  

Je dissous ensuite 80 grammes de levure de boulanger et 100 grammes de gros sel dans 0,4 litre d’eau tiède, et j’incorpore ce mélange à la pâte en pétrissant pendant 10 minutes. 

 

Je vide enfin la pâte ainsi obtenue dans la maie et laisse lever pendant deux heures. 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                *Il est six heures et demie : je casse la croûte, je vais ouvrir les poules et, comme c’est l’été, je vais au jardin sarcler une rangée de haricots. 

* Huit heures : je bois un café, avant d’allumer le feu dans le four à huit heures et quart

* Huit heures et demie : avec l’aide de Françoise, je prépare les pâtons. Je confectionne des baguettes et des tourtes que je dépose dans les « paillassous » (corbeilles en paille et en ronce que j’ai dénichées dans le grenier de mamie Léonie).C’est d’ailleurs aussi mamie Léonie qui m’a cousu les « toyes » (carrés de tissu de 1m2) que l’on met dans le « paillassou » avant d’y déposer les pâtons. 

* Neuf heures : retour au four pour surveiller le feu. Les pâtons vont en effet lever à nouveau pendant une heure et demie avant d’être enfournés, il faut donc que le four soit chaud à dix heures et demie. Etant encore débutant, je surveille de très près le four. A l’aide du « reur » je remue souvent les braises et suis attentif aux changements de couleurs de la voûte. Le noir du début laisse progressivement sa place au blanc. Le blanchiment se fait de l’avant vers l’arrière. Lorsque la voûte est toute blanche, j’étale les braises sur la sole, les laisse ainsi une dizaine de minutes, puis les évacue vers l’extérieur. Je balaie la sole avec l’« écoubié » et teste la température à l’aide du journal (test déjà vu plus haut), auquel j’ajoute le test de la farine (montré par mon frère Raymond) qui consiste à jeter une pincée de farine sur la sole. Elle doit y brunir, tendre vers le noir mais sans fumer. Dans mon four, en général elle fume…et le journal s’enflamme ! Je dois donc le laisser froidir avec la porte ouverte, jusqu’à avoir un test satisfaisant. Je referme alors la porte et vais chercher les pâtons pour les enfourner. 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       * Il est dix heures et demie : l’équipe est maintenant renforcée par Mado et nous enfournons les tourtes puis les baguettes. 

 

Le four est refermé à onze heures moins le quart. Dix minutes plus tard, nous ouvrons pour vérifier que la cuisson se déroule normalement. J’en profite pour déplacer légèrement tourtes et baguettes, ce qui me permet de m’assurer qu’elles ne se sont pas collées les unes aux autres. 

Cinq minutes supplémentaires, et je sors les baguettes, ce qui fait pour elles une cuisson de quinze minutes. Avant de les sortir, je teste quand même la cuisson côté sole. Pour cela, j’utilise le test suggéré (voire imposé) par mamie Léonie : avec l’index replié on frappe le dessous des baguettes, comme on peut le faire à une porte avant d’entrer chez quelqu’un. Le pain, s’il est cuit, doit « campaner » (sonner le creux) ; sinon on doit prolonger la cuisson de quelques minutes. 

 

Quant aux tourtes, ce n’est qu’après un temps de cuisson de quarante minutes que je les sors. 

* Et c’est aux environs de onze heures et demie que l’équipe, renforcée par quelques membres de la famille et/ou amis de passage, se retrouve à l’apéro pour déguster des tranches de baguette encore tièdes, tartinées de rillettes d’oie… Et selon l’avis général, c’est un régal ! 

Confectionner tourtes et baguettes, c’est bien. Mais il faut aussi savoir se diversifier. 

Pour cela, une occasion se présente rapidement (mais il faut bien dire que je sais les saisir au vol, les occasions !). Marcel, un ami de la famille, vient de faire l’acquisition d’un jeune chien, un Braque bleu d’Auvergne nommé « Frac ». Danièle, son épouse (toujours à l’affût d’une idée et de saisir les occasions, elle aussi), propose d’organiser un baptême pour ce chien… chien dont je suis déclaré parrain, la marraine étant Mado ! Le baptême sera républicain cela va de soi, suivi bien sûr de l’inévitable repas de famille qui agrémente traditionnellement un tel évènement. 

 

 Le nombre d’invités s’élève à une quinzaine de personnes. Trouvant cet effectif raisonnable, je décide de me lancer dans la fabrication de pains individuels. J’en prépare donc quinze, sans en oublier un de plus pour mon filleul canin. Je confectionne aussi quelques baguettes qui, coupées en tranches, seront tartinées à l’apéro. 

 Je décide arbitrairement de cuire ces petits pains de la même façon que les baguettes : même position dans le four, même temps de cuisson… Je suis satisfait car, à la sortie du four, leur forme mise à part, ils ressemblent de très près aux baguettes (cuisson et texture de la mie). 

 

Autour de la table, après la cérémonie, tout le monde a l’air d’apprécier mes petits pains. Tout le monde ? Non. Frac ne s’en régale pas. Eh oui, j’avais oublié que les chiens d’aujourd’hui ne mangent plus de pain et qu’ils se nourrissent exclusivement de croquettes ! Il paraît que c’est meilleur pour leur santé, mais je soupçonne que ce soit là surtout le fait de fabricants et revendeurs qui y ont peut-être bien trouvé un filon pour s’engraisser… Les chiens mangent des croquettes ; nous, nous mangeons au « Maquedo »… Dans deux ou trois générations, chiens et hommes n’auront plus de dents, ils n’en n’auront plus d’utilité… Et mon four alors ? Que va-t-il devenir ? Enfin… 

Pour le moment, tout le monde en profite voracement et fait goulûment craquer la croûte de mon pain de coups de dents gloutonnes ! Et j’ai d’ailleurs bien l’impression que se trame au Boico quelque chose à mon insu : il flotte dans l’air, mais surtout dans mon dos, comme une sorte d’organisation d’inauguration de mon four… Que vont-ils me concocter ?… 

J’avais vu juste. Je suis informé par « SMS » que l’inauguration de mon four aura lieu le samedi 14 août, en début de soirée. On me laisse (presque) le choix des invités. Je décide, puisque j’en ai la liberté, d’inviter toutes les personnes qui m’ont aidé dans mon entreprise. Pour moi, « aider » s’applique à ceux qui m’ont aidé matériellement (le coup de main, le prêt de matériel ou le don de matériaux), ceux qui m’ont donné des conseils ou tout simplement ceux qui se sont intéressés de près à l’avancement de mon four. 

 

 

  

                                                                                                                                                                                                                                                                                              J’invite donc une quarantaine de personnes ; les trois-quarts répondent présents. Le quart restant n’est pas dans la région à cette date. Mais ceux qui ne pourront être là me contactent néanmoins pour me dire qu’ils regrettent de ne pouvoir participer à cette petite fête.

L’inauguration ayant lieu le samedi, dès le jeudi je commence à ranger un peu autour du four. Il me faut presque la journée pour évacuer tout ce qui s’est entassé autour du four après un an de chantier ! Il est vrai que le rangement et le nettoyage ne sont pas trop mon fort… 

Pour inaugurer un four à pain, le pain cuit dans CE four est l’élément indispensable. Mais comme un incident peut toujours arriver, dès le samedi matin, je fais une première fournée, que j’aurais en réserve pour le soir en cas de pépin ! En effet, même si j’arrive désormais à maîtriser la chauffe de mon four, ce jour-là, un nouveau paramètre va entrer en jeu : re-chauffer le four alors qu’il n’aura pas refroidi totalement… 

La soirée devant débuter à 19 heures, j’essaie d’avoir du pain prêt à enfourner et un four à température pour cette heure-là, sans oublier les flammekueches préparées par Sandrine. 

Vers 19 heures donc, alors que je m’active autour du four, mes invités commencent à arriver. Mais je suis très surpris de constater qu’il n’y a pas que MES invités qui ont répondu présents ! Parmi les arrivants, voilà que j’aperçois un boulanger d’Allassac, accompagné de sa famille. 

 

 Je ne me fais aucune illusion, s’il est là, c’est que les décideurs de cette inauguration l’ont secrètement invité… Un vrai boulanger professionnel va goûter mon modeste pain à moi ! Une fois la surprise passée, je suis à la fois très touché par sa présence, mais aussi un peu inquiet du regard spécialiste qu’il va poser sur mon pain et des remarques qu’il va faire… 

Lorsque le four est à bonne température, je commence par faire cuire les flammekueches, puis j’enfourne les baguettes. 

Pendant la cuisson, il faut couper le ruban (indispensable pour une inauguration, non ?). Deux personnes sont toutes désignées pour assumer cette responsabilité : Anaïs et Samuel, mes petits-enfants. Ils en sont tout aussi capables qu’un sous-préfet ou un quelconque autre ministre ou député… la sincérité en plus. 

 

Puis Danièle ne peut pas s’empêcher de nous chanter une de ses compositions. Elle a en effet adapté la chanson « Quand on n’a que l’amour » de Jacques Brel et voici ce que cela donne : 

  

« Quand on n’a qu’un vieux four 

Pour dernier héritage 

On l’emmène en voyage 

Un aller sans retour 

  

                                                                                                 Quand on n’a qu’un vieux four 

Parti de Chauvignac 

Refait à Allassac 

Pour qu’il revive un jour 

  

Quand on n’a qu’un vieux four 

Avec d’habiles mains 

Ou avec un pétrin 

Il fume chaque jour 

  

Alors sans avoir rien 

Qu’un vieux four déplacé, 

On savoure ce pain 

Au bon goût du passé » 

  

Le protocole improvisé se termine rapidement, car le pain est cuit et il faut le sortir du four ! Ceci est fait devant tous les invités, spectateurs mais aussi critiques (dans le bon sens du terme). Il s’ensuit une conversation très intéressante et je remarque avec plaisir que jeunes et moins jeunes, gens de la ville ou de la campagne, tous veulent comprendre la reconstruction de ce four et le procédé de cuisson du pain.

 

                                                                                                                                                                                                                                                Notre boulanger présent ce soir-là me donne bien sûr son avis sur la qualité de mon pain, mais me fait aussi part (avant de partir enfourner le sien aux alentours de 23h) de petites astuces, que je mets en application depuis. 

 

J’oubliais un détail. Avant d’enfourner, j’ai bien entendu sorti les braises du four. C’est alors que Franck (vous savez… l’ingénieur ingénieux) a récupéré la brouette dans laquelle je mets ces braises et s’est éloigné de quelques pas. Il a placé en travers sur cette brouette deux serre-joints de maçon… et y a fait cuire chipolatas et merguez !!! 

 

Nous avons aussi bénéficié d’un spectacle de cirque improvisé, avec ma petite-nièce Chloé au trapèze et Samuel jonglant avec des bulles de savon ! 

 

                                                                                                                                                                                                                                             Fidèles à nos traditions ancestrales, nous nous retrouvons tous autour d’une grande table pour déguster ce qui vient d’être cuit dans le four, agrémenté de produits AOF (rappel : Appellation d’Origine Familiale) tels que rillettes, jambon ou bien encore tomates du jardin.

 

                                                                                                                                                                                                                                             Etalant les rillettes sur sa tartine, Bébert (le maçon à la retraite de la famille) confie à Delphine, dans un grand sourire accompagné d’un clin d’œil rieur : « Et ben je pensais pas qu’il y arriverait… Je crois qu’il est un peu fou ton père… ». 

Ce soir-là, je suis heureux que le four de mon grand-père ait retrouvé sa vocation première, celle de REUNIR des êtres qui, l’instant d’une soirée, abandonnent TOUTES leurs différences, et ont TOUS un seul objectif, celui de passer un agréable moment, pendant lequel ils oublieront les misères, petites ou grosses, de la vie…

 

Après toutes ces émotions, il faut continuer le chantier ! En effet, même si le four est opérationnel, il faut penser à le mettre hors eau avant l’hiver. Le plus simple, c’est de continuer la charpente qui, il faut bien le dire, est au point mort depuis que le four est utilisable. Il semblerait qu’effectivement, on ne puisse pas être au four et au… faîtage en même temps !

La forme du toit étant définie, je traverse la route pour rendre visite à la scierie Gilibert et commander le sciage du bois nécessaire à la réalisation de cette charpente. Et je n’oublie pas de leur confier la réalisation des coyaux. Un coyau est un chevron taillé en biseau qui sert à relever le bord du toit.

   

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 Tout le bois brut pour réaliser cette charpente est du châtaignier fourni par mes soins et que j’avais pris soin de couper l’hiver dernier, dans un taillis de la famille, situé à côté du village de La Roche d’Allassac (au lieu dit La Brouillade).

Le débit du bois étant réalisé, je convie Fred et Thierry, et tous les trois, nous mettons en place cette charpente.

Le futur toit étant en ardoise du pays, sur cette charpente, il faut mettre la volige qui permettra de clouer les ardoises. On appelle « volige » des planches de faible épaisseur en bois blanc. Lorsqu’on a affaire à un toit rectangulaire, on utilise de la volige de 2 cm d’épaisseur, mais pour mon four et son  toit rond, il faut utiliser des planches de 1 cm d’épaisseur, qui permettront de donner un arrondi régulier au toit. Il faut en outre mettre en place cette volige tant qu’elle n’a pas séché…

Le choix de l’essence utilisée m’est dicté par Mamie Léonie. Notre Mamie, dont la maison d’habitation se situe à 150 m du four, ne supporte plus, à l’automne, les feuilles mortes qui tombent de ses peupliers et que le vent porte sur sa terrasse. Ne pouvant empêcher les feuilles de tomber et le vent de les transporter, la solution qu’il me reste est d’abattre ces arbres… et de les utiliser pour faire ma volige ! Le bois utilisé pour la charpente et la volige étant lui aussi une AOF (Appellation d’Origine Familiale), il a  donc bien sa place dans ce four familial !

Pour ne pas laisser le temps à ces planches de sécher, il me faut faire vite. Avec l’aide de l’entreprise d’exploitation forestière Lacombe, j’abats les arbres et transporte les grumes jusqu’à la scierie Estorges située à Sainte-Féréole, scierie qui va me faire le sciage. Toutes ces opérations sont réalisées dans la même semaine et, dès la semaine suivante, je peux commencer la pose de cette volige.

Pour cette nouvelle opération, c’est Fred qui m’aide. Le travail consiste à poser deux épaisseurs croisées… Vieille méthode pour faire un toit rond. En effet après la pause de la deuxième épaisseur, l’arrondi du toit est bien régulier.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Encore une fois, je n’ai rien inventé. J’ai fait appel à ma mémoire d’enfant et jadis, j’avais dû entendre décrire cette méthode, soit par mon grand-père paternel, soit par mon père. En effet, pour compléter les faibles revenus de la ferme, l’hiver ils se faisaient scieurs de long ou bien charpentiers. A moins que ce ne soit par le voisin de mes parents, Firmin, qui lui était couvreur (lui aussi en complément des activités de sa ferme).

Ce grand-père paternel, sacré Monsieur. Dix-neuf ans en 1914…Devinez où il passe les quatre années suivantes ? Verdun, le Chemin Des Dames ou autres lieux tristement célèbres à cette époque… Lui a de la chance : après quatre longues années passées au front, il revient en Corrèze à peu près indemne physiquement ; dans la tête, on ne sait pas car il fait partie de ces taiseux qui ne s’étendent pas sur bon nombre de sujets. Toujours est-il qu’à son retour dans sa petite ferme des Palisses, il comprend très vite que ce lopin de terre ne pourra pas nourrir longtemps sa famille. Ma grand-mère s’est très bien occupée de la ferme pendant son absence ; elle peut donc continuer. Lui ne sera désormais pas souvent là.

En effet, l’hiver, il devient scieur de long. Il faut savoir qu’à cette époque, les moyens de transport étant très rudimentaires, lorsque quelqu’un décide de construire un bâtiment, ce ne sont pas les arbres pour la charpente qu’on envoie à la scierie, mais une équipe de scieurs de long qu’on envoie sur place, sur le chantier.

Au printemps, il y a beaucoup de travail à la ferme : il y reste donc jusqu’au début du mois de juin. A cette période de l’année, il se contente de prendre son vélo, d’attacher sa faux sur le cadre… et le voilà parti faucher dans une grosse ferme de Donzenac, village voisin.

Début juillet, il est de retour à la ferme pour récolter les foins.

Mi-juillet, le voilà reparti avec son vélo et sa faux mais pour l’Auvergne cette fois, et ceci pour un mois.

De retour aux Palisses, il moissonne le peu de blé, d’avoine ou de blé noir qu’il avait semé.

Nous sommes début septembre, et il se rend maintenant dans le Bordelais pour les vendanges.

Voilà l’emploi du temps immuable que s’était fait mon grand-père dès 1920… En outre, comme les gens qui l’employaient étaient satisfaits de son travail, il ne changeait finalement pas d’employeur. Si bien qu’à chaque vendange, le viticulteur qui l’employait l’avait vite chargé de former une équipe complète pour assurer la récolte. Cette équipe il fallait bien la nourrir… Et devinez quoi ? Ma grand-mère se faisait alors cuisinière et suivait son homme dans le bordelais pour préparer à manger à tout ce petit monde !

La crise de l’emploi ? Connaît pas pour ces deux-là !

Et malgré tout, au bout de cette vie rude, à 87 ans, son plus grand plaisir était encore, le dimanche matin, de nous offrir le casse-croûte au restaurant à nous trois, ses petits-enfants, Raymond, Georges et moi (moi qui suis d’ailleurs son parfait homonyme), ou bien encore de donner une petite pièce à Delphine qui, du haut de ses 4 ou 5 ans, l’avait du coup affectueusement surnommé son « Pépé-pièce »… Elle n’est pas belle la vie ?

LA CHEMINEE ET LES MURS

Le samedi 8 mai 2010, en Corrèze comme partout en France, on commémore la victoire de 1945 sur le nazisme (et oui, contrairement à un acteur de cinéma français très connu, nous, nous savons encore et toujours ce qu’on commémore en France le 8 mai…).

Mais sur le stade Amédée Domenech de Brive-la-Gaillarde se déroule aussi ce jour-là une fête, une sorte de fête du rugby : tous les ans en effet, à cette date, se jouent toutes les finales du championnat du Limousin de rugby.

Euh… Et le lien avec le four, il est où ?…

Parmi les membres de mon équipe de bâtisseurs, il y a mon (presque) gendre Thierry qui, depuis une vingtaine d’années, dispute ce championnat dans différentes catégories. Et voilà que, pour la première fois de sa carrière, avec son équipe de Varetz (commune située à une petite dizaine de kilomètres d’Allassac), équipe dont il est d’ailleurs le capitaine, il fait aujourd’hui partie de ceux qui vont pouvoir fouler la pelouse de ce stade sur lequel évoluent le reste de l’année les meilleures équipes de France, ainsi que certaines équipes européennes lorsque les saisons sont fastes pour le CAB.

Pas question donc de s’occuper du four aujourd’hui : tous à Brive pour encourager Thierry et ses coéquipiers !!!

Pour Varetz (comme pour les autres certainement), la tension est à son comble : jouer dans ce stade est vraiment un évènement pour les joueurs Amateurs (avec un grand A) de notre région ! Voyez plutôt :

– Jeannot, qui a été obligé d’acheter une paire de crampons pour ce match (les

siens étant vraiment hors d’usage), est entré sur le terrain avec sa vieille paire de chaussures à la main. Question de Thierry : « Tu vas où avec tes vieilles godasses à la main ? »… Réponse de son coéquipier : « Je suis obligé, je leur avais promis qu’elles seraient de la fête ! »…

– Quant à Berbert, de retour aux vestiaires après le match, il sortira de son slip

une poignée d’herbe qu’il aura arrachée avant de quitter le terrain et en offrira la moitié en souvenir à son capitaine…

14 heures… Thierry entre donc (tendu ? tendu.) sur cette pelouse suivi de son équipe pour disputer la finale du championnat de première série contre Mansac. Mansac est favorite.

 

Au coup de sifflet final et après avoir mené, été menée puis mené à nouveau, c’est l’équipe de Varetz qui l’emporte 6 à 5 ! Victoire difficile, due à la hargne des gars en noir et orange. Mais certainement aussi à l’envie de gagner qu’a su leur communiquer Thierry. Pour nous, ce n’est pas une surprise, Thierry nous a montré par le passé qu’il savait se battre et remporter des combats pas gagnés d’avance…

 

Thierry, merci pour la belle émotion de ce jour et bravo de la part de toute l’équipe du Boico… Ton fiston est encore trop petit pour comprendre, mais il y a fort à parier qu’il sera fier de son papa…

Bien. Maintenant que la saison de rugby touche à sa fin, tu vas de nouveau être disponible pour le four !!! C’est une affaire qui marche ça !

Revenons au four.L’extérieur de la voûte est désormais enduit d’une couche de coulis. Avant le séchage de ce coulis, je fixe une dizaine de pierres sur le sommet du dôme. Pourquoi ? Parce que je les ai trouvées disposées ainsi sur le four d’origine à Chauvignac ! Mais je m’interroge quand même sur l’utilité de ces pierres à cette place… Leur fonction ne me semble en effet pas évidente… Peut-être leur rôle est-il d’éviter au tuf de glisser ?… Toujours est-il que je fais confiance à mes ancêtres : si le four de Chauvignac était bâti comme ça, il doit certainement y avoir une bonne raison. Je le rebâtis donc comme ça.

Il est maintenant temps de commencer les murs et la cheminée. J’ai décidé de me simplifier un peu la tâche : au lieu de monter l’encadrement de la porte en pierre, je le réalise en brique, c’est beaucoup plus simple. Pour une fois, tant pis pour l’authenticité… J’en profite pour rendre un modeste hommage à la briqueterie Rendouillet en positionnant bien en vue deux briques arborant son nom…

                                                                                                                                                                                                                                                                         Arrivé aux environs des deux tiers de la hauteur extérieure de la voûte, j’interromps momentanément la construction des murs pour combler de tuf l’espace existant entre les murs et la voûte et pour bâtir, toujours en brique, l’arc de décharge au-dessus de la porte du four.

Avant de mettre le tuf sur et autour de la voûte, j’enduis la couche de coulis de cendres très fines : ceci me permet de colmater les fentes qui se sont dessinées dans la couche de coulis.

                                                                                                                                                                                                                                                                                  Je comble enfin de tuf jusqu’à la hauteur actuelle et temporaire des murs.

 Samedi 15 mai, journée à marquer d’une gelée blanche au Boico. Tôt ce matin nous avons appris la naissance d’Alicia, premier enfant de Sandrine et Franck, et ça c’est une bonne nouvelle ! Rappelez-vous, Franck, c’est le cerveau et l’informaticien de l’équipe des bâtisseurs. Un peu plus tard dans la matinée, Mado, fraîchement proclamée mamie, a fait provision d’une boisson gazeuse que nous allons déguster (avec modération bien sûr) dès aujourd’hui. Avec toutes les péripéties de ces dernières semaines, le four n’avance pas vite, mais j’ai des excuses !

Après la finition de l’arc de décharge au-dessus de la porte et des murs entourant le four, je termine la mise en place du tuf sur la voûte.

Maintenant, rien ne m’empêche de sortir le moule de la voûte (à part une légère appréhension peut-être…). Le dimanche, quelques membres de l’équipe semblent vouloir « voir ce que ça donne… ». Je leur rétorque que « Non, je ferai ça tout seul ; comme ça, si tout s’effondre, il n’y aura pas de spectateurs ! ». Mais dès le lendemain soir, puis le mardi soir, je « trifouille » un peu à l’intérieur. Je constate que mon moule à l’air de se démonter sans trop de problèmes. Il faut dire que je ne suis pas trop rassuré et me débrouille pour avoir le temps de finir ma démolition (tiens, il y avait longtemps !) le mercredi après-midi. Ce n’est pas toujours simple, mais mes petites astuces prévues lors de la construction s’avèrent efficaces, ce qui me permet le soir-même d’obtenir un four vide… et non effondré ( !), ce qui n’est pas négligeable !!!

Lorsque le four est débarrassé de tous les matériaux qui en composaient le moule (planches, gabarit, sable, cailloux de drainage, ou bien encore plâtre), on peut enfin voir la voûte de dessous, et je dois reconnaître que je suis assez satisfait de ma construction ! J’espère seulement qu’elle va tenir lors de la chauffe… La répartition des charges sur les dalles de la sole à l’aide de deux épaisseurs de planches croisées à 90° a joué son rôle : les dalles n’ont subi aucun dommage.

Avant d’allumer le feu, il me faut finir la cheminée. Bien que je n’aie encore rien prouvé sur le bon fonctionnement de mon four, j’aimerais revenir sur ce démoulage, étape très importante dans cette construction.

Si j’avais réalisé ce moule tout en sable, comme tout ceux qui l’ont fait avant moi, j’aurais fait comme eux : j’aurais certainement transpiré davantage ! En effet, le sable se tasse de lui-même et la tâche est assez fastidieuse.

Pourquoi ma méthode a bien fonctionné (pour le démoulage au moins !) ?

– Quant on débute dans ce genre de travaux sans n’avoir aucune expérience, il faut être à l’écoute. Toutes les idées proposées par les membres de l’équipe, ou par d’autres personnes, sont toutes à analyser, même celles qui semblent les plus farfelues. En exemple, je citerais l’idée de Franck d’attacher les planches avec des ficelles pour permettre de les tirer plus facilement. J’ai réfléchi à cette (bonne) idée, je l’ai améliorée, remplacé les ficelles par du fil électrique, plus solide et facile à repérer avec ses couleurs pour respecter l’ordre d’extraction. Sacré Franck, ingénieur un jour, mais surtout ingénieux toujours…

– Lorsqu’on construit le moule, il faut toujours garder à l’esprit que tous les éléments doivent obligatoirement ressortir par la porte. Bien sûr, c’est évident, mais lorsqu’on a « la tête dans le guidon » (ou dans le four) on peut l’oublier…

– Il faut enfin trouver des astuces pendant la construction qui permettront de diminuer le volume lors de la démolition. Installer les gabarits sur des pieds posés sur des profilés métalliques creux.

– Utiliser des « cailloux » en polystyrène  qui, dans leur volume global, emprisonnent de l’air.

– En résumé, il faut avoir un moule capable de soutenir le poids des briques pendant la construction, mais avec le maximum de volume d’air. J’ai pu vérifier combien tous ces petits espaces libres sont bien utiles au démoulage…

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Alors que la cheminée et les murs montent tranquillement, le temps des cerises est enfin revenu…

Le clafoutis ayant été commandé à notre mamie Léonie à l’occasion de la Fête des Mères, l’aubaine était trop belle : il fallait lui faire expliquer les secrets de la recette à sa façon. Parce que les explications culinaires dans la famille, c’est quelque chose ! Comprend qui peut ! A moins que ce ne soit là un moyen de tenir bien secrètes les clefs de la réussite gustative… Delphine s’y colle : « Il est bien bon ce clafoutis mamie. Redis-moi comment tu fais. Parce que mes clafoutis à moi, ils ressemblent à tout, sauf aux tiens !!! »

Oh tu parles… C’est pas bien difficile…

Je commence toujours par une pincée de gros sel (pas de sel fin, ça, c’est du sel de régime).

Après, suivant la taille de la « tôle » (moule), j’ajoute 4 œufs ; si elle est plus petite, il n’en faut que 3, ou 2, enfin, tu vois bien…

Je bats bien bien.

J’ajoute 4 cuillères à soupe de sucre (je marche toujours par œufs : 4 œufs-4 cuillères, 3oeufs-3 cuillères…).

Bon. Je mélange.

J’ajoute les parfums. Moi je mets de la vanille et quelques gouttes de fleurs d’oranger, mais il y en a qui mettent du rhum… Bref, tu fais comme tu veux.

J’ajoute la farine. Quelle quantité ? Je sais pas moi, à peu près, tu vois bien ce que ça donne quand tu bouères (mélanges) ! Mais il faut pas trop en mettre, sinon ta pâte elle sera amassie (trop compacte)…

Ensuite, il faut mettre la matière grasse : 3 cuillères d’huile. 3 cuillères à soupe ? Pouh, je te sais moi ! Je mesure sans cuillère moi ! (… ?!)

J’obtiens une pâte que je ramollis avec 2 cuillères de lait, puis 1 cuillère d’eau, puis encore 2 d’eau et 1 de lait et ainsi de suite jusqu’à ce que ça me semble ramolli comme il faut.

Ensuite, il faut bien laisser reposer, 2h, même 2h30. En fait, moi je prépare ma pâte en me levant le matin.

Après, je beurre ma « tôle », et je la clafis (remplis) de cerises équeutées. Je les aplatis bien les unes devant les autres, comme ça, côte à côte.

Je préchauffe mon four pendant 10 minutes (l’hiver, c’est encore mieux, il cuit dans ma cuisinière à bois) et li t’y cougne dedin (et je te l’enfourne dedans) ! Et pi voilà. C’est pas compliqué tu vois…

Ah ben non, vu comme ça, c’est pas compliqué effectivement… Toujours est-il que c’est bien bon !

Observateur que je suis de nos paysages et de nos pierres et à l’occasion de mes nombreux déplacements sur nos routes corréziennes, j’ai pu observé un four qui, comme beaucoup de ces constructions qui se trouvent bien souvent dans d’anciennes petites fermes aujourd’hui abandonnées, menace malheureusement de s’effondrer. En effet les derniers utilisateurs de ces fours sont morts et, comme le chante à si juste titre Jean FERRAT dans sa chanson « La montagne », les héritiers de ces bâtiments ont certainement « quitté le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés… ».

Lundi, je suis passé à Eyzac sur la commune de Chanteix, où ce trouve ce four malade, et ce que je craignais était arrivé : le four est en partie écrasé.

De plus en plus curieux (et amoureux ?) de l’architecture de ces fours à pain, je n’ai pas pu m’empêcher de m’arrêter pour observer la conception de ce four afin de la comparer à celle de celui de Chauvignac que je suis en train de déplacer au Boico.

Et là, surprise ! : ce four, qui se situe à seulement 3 kilomètres de Chauvignac, est la copie conforme du four de mes ancêtres : mêmes dimensions, même maçonnerie, même encadrement de porte, voûte identique, la première partie est elle aussi composée de huit rangées de briques de 40 mm d’épaisseur, le dôme est lui aussi en briques de 20 mm… Et devinez quoi ? Ces briques portent aussi la marque de la briqueterie « J.RENDOUILLET AU BARIOLET » !!!

 

 

 

Toutes ces similitudes (un peu émouvantes il est vrai) me laissent à penser que dans ce petit coin de Corrèze, existait il y a environ deux cents ans un maçon qui devait être très sollicité par les paysans de l’époque car il leur permettait, grâce à la réalisation de ces fours individuels, d’avoir au moins du pain à manger…

Quant au four du Boico, les murs et la cheminée se terminent, la prochaine étape étant la charpente.

Les murs et la cheminée du four étant terminés, je commence la charpente. La première chose avant de se lancer dans la taille d’une charpente, c’est de choisir la forme du toit. Pour cela, il faut en définir la hauteur et l’inclinaison. Désireux d’éviter d’éventuelles futures « critiques », je me lance dans une consultation assez large. J’essaie ensuite de faire la synthèse de toutes les solutions qui m’ont été proposées. Pour concrétiser la solution retenue et pour en faciliter la compréhension, je décide de réaliser une maquette à l’échelle. Cette forme de toit étant validée, le travail peut commencer…