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LE TOIT ROND

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     L’automne étant là et ayant cette année une bonne récolte de pommes, une nouvelle occasion se présente donc de faire une petite réunion autour du four avec cette fois l’objectif de faire du cidre. Avec toujours (ou presque) la même équipe, au moins ceux qui sont disponibles.

Le samedi, Mado, Maurice et moi nous ramassons les pommes et préparons le chantier pour le lendemain. Françoise nous prépare le repas. Pour nous faciliter la tâche, nous regroupons les moyens de production autour du four. L’expression « moyens de production » est peut-être un peu exagérée, mais si je dis « coupe-racine et pressoir », c’est moins ronflant !

Le dimanche matin, je suis debout à 5 heures pour préparer le pain et à 10 heures, nous nous retrouvons tous autour du four. Avec mon équipe habituelle, je m’occupe de la cuisson du repas dans le four. Aujourd’hui, au menu : flammekueche de Mado, pain au seigle, pommes de terre à la blao-blao aux rillettes de Françoise, « flognardes » aux pommes de mamie Léonie et marrons de Raymond.

                                                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Pendant ce temps, les costauds broient et pressent les pommes pour en extraire un jus de pommes pour tout dire excellent !

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Les derniers invités arrivent vers 12h30 et tout ce petit monde passe à table afin de déguster tout ce qui a cuit dans le four… complété par les desserts apportés par Betty, Danièle et Renée… Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on mourra de faim !

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 

 

Les pommes utilisées pour faire ce jus de pomme sont aussi un petit patrimoine que m’a laissé, sans le savoir, mon père, le père François, décédé il y a dix ans. Lui aussi, tout comme son père, devait compléter les revenus de la ferme. Il avait pour cela un petit commerce de fruits. Cette activité l’occupait trois mois de l’année. Chaque automne, il collectait (au départ avec son vieux camion Berliet du début du siècle) pommes, noix et châtaignes dans les fermes, et il les revendait aux grossistes d’Objat pour les noix et aux fabricants de confitures d’Objat, Périgueux ou Biars-sur-Cère pour les pommes et les châtaignes.

Dans les années cinquante, il y avait aussi un autre débouché pour les pommes. Ces pommes étaient cueillies en septembre/octobre par les paysans, puis stockées sur de la paille dans les granges jusqu’au mois de décembre. Pendant les vacances de Noël, mon frère et moi nous suivions mon père qui faisait la tournée de ces fermes pour récolter ces pommes. En général nous étions nourris dans la ferme, et même s’il est vrai que nous travaillions toute la journée à genoux et dans le froid, je ne garde que de bons souvenirs de ces moments-là. Certains diront que ce n’était pas très bien de faire travailler des gamins dans ces conditions, mais mon frère et moi étions demandeurs ; et puis nous avions l’habitude. C’était notre console de jeux à nous ! Mais « je vous parle d’un temps que les moins de… cinquante ans ne peuvent pas connaître… ». En effet, mon frère est né une veille de Noël à la maternité (!) des Palisses dans une chambre exposée en plein nord et aux murs en torchis. Quant à moi, l’hiver de mes trois ans, je mesurais tout juste un mètre… et mon père m’emmenait avec lui dans les bois. Trop petit pour ça me direz-vous ? Eh bien non : ma taille lui était idéale pour mesurer ses piles de bois !!!

Revenons aux pommes ramassées dans les fermes et conditionnées dans des caisses… Il en faisait quoi le père François ? Il en vendait une partie aux grossistes de Brive et d’Objat, et le reste partait dans le Tarn. C’est d’ailleurs ce débouché vers le Tarn qui a été le dernier pour notre pomme de « plein vent ». En effet parmi les clients de cette région, il y avait beaucoup de mineurs qui préféraient ces pommes rustiques à des prix raisonnables aux nouvelles espèces de pommes qui arrivaient sur les marchés dans les années soixante. Certes ces nouvelles pommes étaient sans défaut… mais à quel prix (pour le porte-monnaie, la santé et notre bonne vieille planète) ?!

Devenu à mon tour adulte et me souvenant des commentaires que faisait mon père à propos de telle ou telle pomme, parmi la vingtaine de variétés que j’ai pu connaître grâce à son activité, j’en ai retenu six. J’ai fait mon plan de porte-greffe, récupéré les greffons, planté et greffé une dizaine de pommiers qui me permettent désormais de manger des pommes de début septembre à fin mai. Il va de soi que je récolte ces pommes sans aucun traitement ET avec les aléas que cela comporte, mais c’est un choix délibéré de ma part.

Début septembre, je récolte la « Banane » : pomme rouge qui ne se conserve que jusqu’à la mi-novembre.

Mi-octobre, c’est au tour de la « Vigneronne » : excellente variété qui se déguste crue et qui est la championne pour le jus de pomme. Elle se conserve jusqu’à la fin décembre.

Début novembre, je ramasse la « Reinette Dorée » : variété qui, à mon avis, tient le mieux à la cuisson. Conservation jusqu’à fin janvier.

Toujours début novembre, je cueille la « Sainte Germaine » et la « Fausse Sainte Germaine » : certainement les meilleures sur le plan gustatif. Conservation jusqu’à fin avril.

Enfin, mi-novembre, je récolte la « Porge » : variété très rustique qu’il ne faut pas manger avant le mois de février et qui se conserve jusqu’à fin mai.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Avec ces cueillettes, nous pouvons donc dans la famille profiter des bienfaits des pommes pendant près de neuf mois ! Compotes pour les petits et les grands, pommes au four, flognardes, crumbles… Ca tombe bien, mes filles ont une vilaine tendance à être (bien malgré elles, on s’en doute) allergiques aux traitements pesticides ! C’est donc au « Boicobio » qu’elles viennent se fournir. Et Delphine garde encore en mémoire des propos que mon père lui a tenus un jour aux Palisses lorsqu’il était gravement malade. Il ne se plaignait jamais de ce mal qui le contraignait néanmoins à se nourrir exclusivement par sonde gastrique. Pourtant ce jour-là, il lui a dit : « Tu sais ce qui me manque le plus ? C’est de pouvoir manger ma pomme de tous les jours… ». Et je n’oublie pas non plus les « pompichous » de mon grand-père maternel (petits pains fourrés de quartiers de pommes à déguster dès la sortie du four)…

La pomme a une place à part entière dans la famille !

Malgré toutes ces petites réunions fort sympathiques, les travaux du four se poursuivent.

Après avoir posé de la volige, je dois m’attaquer à la pose des ardoises. Utilisant les conseils de Francis, j’ai taillé et trié une quantité d’ardoises que j’estime suffisante. Le critère de tri, c’est la longueur. Sur le toit, chaque rangée est constituée d’ardoises de la même longueur. C’est seulement pour la rangée du bas qu’on utilise les plus longues (la longueur diminue donc en montant vers le faîtage). Pour un néophyte comme moi, je dois trouver une méthode qui permette de poser des rangées concentriques. Et oui : mon toit est toujours rond !

Pour la première rangée, je vais au plus simple : je suis le profil extérieur qui a été donné par la volige.

Pour les deux rangées suivantes, j’utilise un gabarit que je mets en butée sur l’ardoise inférieure à celle que je pose.

J’ai posé trois rangées… et j’ai déjà de gros doutes sur la concentricité de mon affaire ! Rappelez-vous… Lors de la construction de la voûte du four, au bout de trois rangées de briques, j’avais tout démoli et cherché une méthode un peu plus… rationnelle. Là encore, il va falloir que je me montre méthodique ! Mon toit est composé de deux rectangles et d’un demi-cône. Ces trois éléments ont un seul point commun qui se situe en bout de faîtage au sommet du demi-cône ; il est donc facile à trouver. A ce point, je fixe un tire-fond qui me servira d’axe de rotation pour ma ficelle qui, elle, me permettra de tracer de façon précise le cercle qui, pour chaque rangée, définira la position du bas des ardoises.

Pour la distance entre chaque rangée, il est de coutume de faire recouvrir aux deux tiers la surface de l’ardoise de la rangée précédente. Le pureau (nom donné à la partie de l’ardoise qui reste visible) est donc de un tiers.

 

 Autre terme technique que j’ai rencontré dans ce nouveau métier : le solin qui est le joint mis en place entre le toit et le mur.

Malgré ma méthode, la pause n’avance pas très vite ! Dans la partie ronde, les ardoises sont toutes à tailler en trapèze. Mais le résultat semble correct, et je me permets même de poser à mi-hauteur deux rangs d’ardoises taillées en ogive (récupérées telles quelles sur le four de Chauvignac).

Mais un nouveau problème surgit rapidement : l’accessibilité ! Je suis obligé de mettre en place un échafaudage conséquent autour de ce fameux toit rond…

 

 

A l’aide de cet échafaudage, le toit devient plus accessible. Je continue à poser mes ardoises, mais la chose se complique de plus en plus en approchant du faîtage. Pour la partie plane, pas de problème. Mais pour la partie ronde, je dois tailler des ardoises de plus en plus petites et je me demande déjà comment je vais faire pour les deux ou trois dernières rangées !

Fidèle à ma politique « copier sur les autres n’est pas forcément tricher », je me plonge dans la documentation que j’ai accumulée depuis le début de mon chantier. Malheureusement, je ne trouve rien qui puisse m’aider. J’ai seulement trouvé une photo du toit rond d’un puits qui se trouve à Lostanges (à proximité de Meyssac, 19). J’ai bien pensé à me rendre sur le site pour étudier cette toiture de plus près, mais cela fait tout de même un peu loin…

Néanmoins, par un après-midi pluvieux, je prends ma voiture et sillonne mes coins de Corrèze que je connais très bien pour essayer de trouver un four, un puits ou tout autre toit rond en ardoise du pays. Après avoir visité les communes d’Allassac, Saint-Bonnet-L’Enfantier, Sadroc, Donzenac, Saint-Pardoux-L’Ortigier, je finis ma petite balade à Perpezac-le-Noir (certainement la commune que je connais le mieux) ; mais toujours rien. J’en profite pour rendre visite à mon « filleul » (vous savez, Frac, le chien de Danièle et Marcel) qui, trahi par sa gourmandise, a mangé quelque chose de pas très bon, voire empoisonné ; il a fallu tous les bons soins de Marcel pour le remettre sur pieds. Me voilà rassuré : il va mieux ! Danièle et Marcel connaissant leur commune encore mieux que moi, je leur fais part de ma recherche. Ils ont vite fait de m’indiquer quelques puits qui doivent correspondre. Je suis leurs indications, me rends sur les lieux et constate que les murs des puits en question sont bien ronds, mais tous ont un toit pyramidal… Quant aux fours avec un toit rond en ardoise, ça reste introuvable… Je me résigne à rentrer bredouille et traverse le bourg de Perpezac pour rentrer à Allassac. Et là, surprise ! J’aperçois une maison récente comportant en façade un toit rond en ardoise ! Ravissante maison d’ailleurs. La forme de ce toit est semblable à celle du toit de mon four et le professionnel qui a réalisé cette magnifique couverture a fait la jonction entre le faîtage et le demi-cône à l’aide d’une tôle en zinc.

Ayant (enfin !) trouvé la solution , il ne me reste plus qu’à la mettre en oeuvre…

Facile à dire… Je monte sur le toit avec une feuille de zinc et des cisailles pour tailler sur place ce « chapeau » qui doit terminer la partie conique avant la pose du faîtage. Plus je découpe de morceaux de zinc… et moins ils correspondent à ce que je suis en droit d’espérer ! Réfléchissons (encore…) : il existe peut-être une solution théorique. Cette fois, je m’assois sur le toit et sous mes yeux se trouve encore la ficelle qui m’a servi à tracer la position des ardoises sur le demi-cône. Une distance constante donnée par une ficelle qui tourne autour d’un point fixe, cela doit s’appeler un rayon ça, non ? Et si j’ai bonne mémoire, un centre et un rayon doivent suffire à définir un cercle… Je descends donc du toit après avoir mesuré mon rayon et la longueur développée de mon cercle. Il ne me reste plus qu’à tracer une épure sur une feuille de journal, découper la forme ainsi obtenue et la présenter sur le toit !

 Cette fois, la découpe correspond à celle que je cherchais ! Je découpe alors la même forme dans la feuille de zinc et la mets en place en ajustant le profil théorique avec les ardoises.

 

Je pose ensuite le faîtage et pour orner mon toit, j’ajoute un épi. Mais je ne suis pas entièrement satisfait et je trouve que cela ne suffit pas : il faut que je personnalise davantage ce toit. Ma femme me propose de le terminer par une crête de faîtage. Pourquoi pas… mais quelle forme peut-on y mettre ? Ce que je trouve dans le commerce ne me convient pas ou bien est hors de prix. Et je ne veux pas de fleur de lys comme on en voit souvent, car ce symbole ne me correspond absolument pas… Je propose à Françoise une vieille lame de faucheuse… mais manifestement, ce n’est pas tout à fait ce qu’elle voyait !

Lors d’un de nos traditionnels conseils de famille du dimanche midi (bon d’accord… appelons plutôt ça une énième occasion de nous retrouver autour d’une table !), une forme est définie. Mais là encore, je ne suis pas tout à fait satisfait… et comme c’est moi qui vais la fabriquer, je m’octroie, lors de sa réalisation, le droit d’y apporter quelques petites modifications. Je fixe enfin cette crête sur le faîtage et considère, avec plaisir, que mon toit est enfin terminé !

 Il ne me reste plus qu’à démonter l’échafaudage pour découvrir le « cul » du four terminé. Cette nouvelle étape n’est pas la plus simple… mais ça y est, c’est fait !

Depuis plus d’un an que j’ai commencé ce chantier, j’ai abordé et découvert plusieurs métiers, du maçon au couvreur, en passant par le charpentier. Bien sûr, tous ces métiers existent encore de nos jours. Mais les matériaux et les méthodes que j’ai employés sont ceux utilisés il y a plus d’un siècle. Dans ce genre de construction, le maçon et le charpentier, pour réussir leur oeuvre, appliquent des méthodes strictes qui s’appuient sur les fondamentaux de la géométrie et ne doivent pas en dévier. Quant au couvreur, certes il lui faut aussi employer une méthode stricte ; mais il faut aussi qu’il garde à l’esprit que la taille de chaque ardoise est différente, et qu’en outre chaque ardoise va influer sur la suivante (notamment pour un toit rond) ; il lui faut donc un sacré coup de main !

Je dois rappeler que, bien qu’étant (tant bien que mal) parvenu à bâtir un mur en pierres, à faire une voûte de four, ou bien encore à poser des ardoises, je ne peux ni ne veux prétendre rivaliser avec les gens du métier ! Tout simplement, tranquillement, j’ai travaillé à mon rythme, sans tenir compte d’une quelconque notion de rentabilité. Notion qui, pour le coup, est essentielle quand on veut vivre de son métier d’artisan…

Cette expérience personnelle m’a d’ailleurs permis de me conforter dans l’idée que je me faisais de l’Artisanat en général et des Artisans en particulier. Il me semble tellement dommage que depuis de nombreuses années, nos dirigeants se soient employés à ne pas valoriser, voire à dévaloriser ces métiers auprès des jeunes… Comment, en outre, le dictionnaire peut-il se contenter de définir le mot « artisan » par un simple « travailleur manuel » ?! Il est indéniable que le cerveau de ce « travailleur manuel » cogite tout autant (voire plus ?) que celui de l’académicien qui a imposé cette définition qui me semble plus qu’étriquée… Qui, de l’intellectuel chargé du bon usage des mots ou du compagnon perpétuant et améliorant des techniques traditionnelles ancestrales, est le plus « immortel » des deux ?…