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AU COEUR DU PROBLEME

La construction de la chambre de cuisson peut commencer. Je réalise un gabarit représentant la forme horizontale de l’intérieur du four,avec comme point de départ la porte. Juliette est alors « inquiète »:

Le plat pour faire cuire les pommes de terre à la « blao-blao » passe t-il dans la porte?   

 

A l’aide de ce gabarit, je mets en place un premier rang de blocs (20/20/10 cm de chez Litaud, Les Betoules à Séreillac (87620)). Les joints sont faits à l’aide d’un mortier composé de 3 volumes de coulis (terre réfractaire, toujours de chez Litaud) et d’1 volume de chaux hydraulique.                                                           

Aprés vérification (et avec un certain soulagement gastonomique…), je peux rassurer ma fille: ça passe, juste, mais ça passe!!!

La forme du four étant maintenant bien définie, je mets en place la sole sur 4 cm de coulis. Cette sole est constituée de dalles (33x23x6 cm, toujours de chez Litaud, que voulez-vous, quand on trouve un bon fournisseur et qui plus est, pas avare de conseils, on le garde !) en laissant entre les dalles des joints de 2 à 3 mm qui ne seront pas bouchés et qui serviront à la dilatation pendant les chauffes. Ces joints se rempliront automatiquement avec les cendres.

Sur les conseils de Jean-François Litaud, je bouche l’intervalle restant vide entre le mur en pierres et le rang de blocs avec des pierres et du mortier sable/chaux. Cette opération est destinée à caler le pied de la voûte du four (comme on peut le faire pour un pont).

La construction de la voûte peut alors commencer. La première partie de la voûte est constituée de 8 rangées de briques réfractaires (22/11/5 cm, dois-je encore vous indiquer leur provenance ?) et mortier (coulis/chaux).

Après la mise en place des deux premières rangées à l’aide d’une méthode un peu…empirique, je ne suis pas satisfait du résultat et décide…de démolir ces deux rangées tout en cherchant une méthode plus rationnelle. Et oui, faire et défaire…

Le tracé d’une épure en vraie grandeur, me montre l’utilité de travailler avec un gabarit dans le plan vertical et d’un « faux niveau » dans le plan horizontal.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Je recommence donc la construction avec ces outils et, arrivé à la troisième rangée de briques, je fais un contrôle de la courbe, suis satisfait et décide de continuer ainsi.

Lors de la démolition du four de Chauvignac, nous avions récupéré les vieilles briques non cassées, et j’alterne les rangées de briques neuves et anciennes.

Quatrième, cinquième, sixième rangées… Mon outillage « fait maison » donne de bons résultats ! A la huitième rangée, la première partie de la voûte est donc terminée.

 

 Maintenant, il faut échafauder sur la sole pour installer le moule en sable qui va me permettre de définir le galbe du dôme de la voûte…

Nous sommes en plein hiver et, soyons fous et ambitieux, c’est donc aussi le moment de penser au bois qui sera nécessaire pour chauffer ce four (d’autant qu’il gèle fréquemment et que mes travaux s’en trouvent ralentis). Si j’arrive à rendre un jour ce four opérationnel (je vois bien que les sceptiques du départ commencent finalement à y croire !), pour le chauffer, il me faudra du bois, mais pas n’importe lequel ! Et selon ce qu’aurait pu me dire mon grand-père :

Per sauffa ton four te saudro do fogots de chastang et rê d’autre mon drôle.

(Pour chauffer ton four, il te faudra des fagots de branches de châtaigniers et rien d’autre mon petit.)

J’écoute donc la voix ancestrale de la sagesse et pars faire des fagots de branches de châtaigniers. Mon outillage est rudimentaire mais fonctionnel et efficace : une chèvre (pour les non initiés aux travaux des bois, voir la photo) de fabrication maison (et oui, encore, on n’est jamais si bien servi que par soi-même !), une hache, du fil de fer et une paire de pinces coupantes.

 

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Mi-février, les grands froids semblent s’éloigner, je vais maintenant pouvoir poursuivre mes travaux.

Sur la sole, j’installe plusieurs étages de petites planches croisées. Mais attention : je veille bien à ce que tout puisse ressortir par la porte lorsque je démoulerai ! Par exemple, j’équipe les planches du milieu d’une ficelle pour pouvoir facilement les retirer…

Sur ces planches, j’installe huit gabarits verticaux pour donner la forme de la voûte. Je comble l’intervalle entre ces gabarits de journaux (les médias sont décidément partout !) et  de blocs de polystyrène.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          La finition est réalisée avec du tuf. Le tuf (ou tuffeau) est du sable issu d’une roche calcaire que l’on trouve dans certaines carrières, limousines notamment, et dont l’exploitation est aujourd’hui abandonnée. J’ai de la chance : « tonton Claudie » (oncle de mon gendre Thierry) en possède une située au Puy Noir sur la commune de Perpezac-le-Noir. Claudie me donne aimablement le tuf nécessaire et Pierre m’en assure gracieusement le transport (comme quoi, MON four redevient une histoire FAMILIALE… co tombo bîn !).

Un dimanche, après dégustation de la sus-dite tarte aux pralines, Delphine fait découvrir cette même tarte à Mamie Léonie sur l’écran de l’ordinateur ! Notre mamie sur internet !!! Malgré le bonnet, à 88 ans, ça lui fait quand même un choc…                                                                                           

  Et tous les gens qui ne nous connaissent pas, ils le voient ça ?!

 

Dans la nuit du 27 au 28 février, la tempête Xynthia traverse la France en laissant derrière elle des dizaines de morts et des dégâts considérables.

Au Boico, nous avons eu la chance d’être épargnés. Le four a néanmoins un peu souffert. La cabane de Thierry a un air penché et le gabarit de la voûte ne donnera pas un très bon résultat si je l’utilise en l’état ! Il faut recommencer.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                C’est reparti. Avec Franck nous redressons la cabane, puis je reprends la construction du gabarit de la voûte. Toujours le même principe, exception faite des gros blocs de polystyrène que j’ai remplacés par des « cailloux » en polystyrène utilisés pour le drainage des terrains humides dans l’agriculture… Huit gabarits immobilisés par du tuf, remplissage  avec ces « cailloux » recouverts d’une couche de tuf (en restant cinq millimètres en dessous du profil final) ; le tout sera comblé à l’aide de plâtre à modeler. Petite précision : pour la mise en place des « cailloux » en polystyrène, choisir un jour sans vent, sinon appeler au secours les petits-enfants (Anaïs, 12 ans et Samuel, 15 mois) pour récupérer ces objets éparpillés tout autour du four !!! Ca vaut la quête des œufs en chocolat dans le jardin !!!

 

 

 

 

Comme prévu, je fais la couche de finition de ce gabarit avec du plâtre. J’avais oublié que faire du plâtre, c’est un métier, mais hélas pas le mien ! Enfin, après une journée de dur labeur, le plâtre est posé.

Je peux maintenant reprendre la pose des briques. Cette partie de la voûte est bâtie avec des briques plus étroites. Je commence par utiliser celles récupérées lors de la démolition à Chauvignac. Je fais un montage à blanc pour déterminer l’inclinaison de chaque rangée et m’occupe (et me préoccupe !) du raccord entre la voûte et la porte.

 Et ce n’est pas la partie la plus simple ! Il ne faut pas que la cheminée soit en appui sur la voûte pour éviter toute surcharge et pour tenir compte des différences entre les coefficients de dilatation de chaque matériau utilisé : la fonte pour le cadre de la porte, les briques ordinaires pour la cheminée et les briques réfractaires pour la voûte. D’après les spécialistes, à cet endroit, la température peut atteindre 600°C pendant la chauffe… alors « mèfio te » !

Ce raccord terminé, je m’attaque à la voûte.

Après la pose de trois rangées de briques, je mesure l’angle entre la face visible des briques et le gabarit. Cet angle est déjà de 85° (pour 90° au final).

 Si je continue comme ça, je vais avoir de gros problèmes pour mettre en place la clef de voûte… Je serai alors obligé de mettre cette clef par l’intérieur du four et de la caler avec un piquet ! Pas bon, pas bon mon affaire… surtout si je mets un piquet en bois, imaginez…

Ce jour-là il fait un soleil magnifique, je pose la truelle et le marteau et j’en profite pour m’asseoir à l’ombre du vieux chêne et réfléchir (ça m’arrive beaucoup en ce moment…). J’observe pensivement la photo du montage à blanc que j’avais fait pour déterminer l’inclinaison de chaque rangée de briques.

Comment puis-je gérer cette inclinaison qui varie à chaque rangée ?!

Ca cogite dur dans ma vieille tête et puis…Et puis dans un vieux tiroir tout poussiéreux de cette vieille tête, je retrouve une non moins vieille notion de tangente à une corde.

Ah ah… Et oui, mais maintenant, j’en fais quoi de cette fameuse tangente à une corde ?!

En effet, chaque rangée de briques a sa propre inclinaison par rapport à la verticale, mais toutes les briques doivent être perpendiculaires à la tangente, au profil du gabarit, passant par le point de contact avec la brique considérée.

Mon explication est peut-être un peu confuse mais c’est maintenant très clair pour moi !

Je règle alors ma sauterelle (voir photo) à 95°, ce qui me détermine donc la position de chaque brique ! Mais pourquoi 95° alors que l’on passe son temps à entendre dès les leçons de géométrie de l’école primaire que la perpendicularité est de 90°?! Non, mes petits-enfants, votre grand-père ne devient pas fou et ne cherche pas à révolutionner Pythagore ! L’explication est beaucoup plus simple : je préfère garder cette petite marge de sécurité… que je corrigerai facilement si nécessaire !

Je démolis donc (et ça, je commence à savoir faire maintenant !) ce qui ne me paraît pas bon et recommence en utilisant la sauterelle comme positionneur.

Quand enfin on élabore une méthode correcte, le travail s’en trouve immédiatement facilité ! Pour chaque brique, je vérifie sa position angulaire par rapport au gabarit. Ma tâche se voit être un peu plus compliquée de par la forme irrégulière des briques. En effet, ces briques, qui sont celles du four initial, ont dû être réalisées à la main à l’aide d’un moule ou peut-être même sans (?!). D’ailleurs sur certaines d’entre elles on retrouve des traces de pattes d’animaux de la ferme (chiens, cochons) qui devaient visiter la fabrique avant le séchage complet de ces briques !

Pour m’assurer que malgré ces variantes, les rangées restent circulaires et toujours centrées sur l’axe du four, j’utilise ma ficelle et trace un cercle théorique qui me permet « d’ajuster le  tir » toutes les cinq rangées.

Au fur et à mesure de l’avancement, je réduis l’angle sur ma sauterelle…95° puis 93°. Il me reste maintenant une douzaine de rangées à bâtir, je remplace la sauterelle par une équerre et positionne les briques à 90°. Le centre n’est plus très loin : on devrait y arriver !

on termine à l'équerre

Deux ou trois rangées plus loin, problème ! Mes bras ne sont plus assez longs ! Un échafaudage au-dessus de la voûte s’impose donc. Même si ce n’est pas très haut, il me faut du solide, pas question de tomber sur la voûte alors que je suis si près du but ! Parpaings et madriers feront l’affaire.

Les dernières rangées sont très vite mises en place, il me faut maintenant m’attaquer à l’essentielle clef de voûte. Cette dernière brique se nomme certainement ainsi parce que c’est elle qui tient toute la voûte lorsque le gabarit est enlevé (car il faudra bien l’enlever un jour…).

Puisque la voûte est désormais terminée (après quelques nuits blanches de réflexion), je peux prendre un instant pour préciser l’origine de ces briques récupérées dans le four de Chauvignac. Ces briques portent tout simplement le nom du fabriquant, il s’agit de « J.RENDOUILLET AU BARIOLET ». Le Bariolet est un village bien connu de la commune de Perpezac-le-Noir et, d’après les recherches qu’a pu faire Danièle (une amie érudite de la famille), il existait bien au XIXième siècle une tuilerie dans ce village qui se situe à 3 kilomètres environ de Chauvignac et… à 500 mètres de la carrière de tonton Claudie, là où j’ai récupéré le tuf !

Bon, revenons à la clef. D’après l’ouverture restante, je vais tailler cette clef dans un bloc de 20/20/10cm. Pour relever la forme, je découpe deux morceaux de carton ajustés aux deux entrées : un pour le bas et un pour le haut.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Je reporte ces deux profils sur deux faces opposées de mon bloc et trace les arêtes de ma clef. A l’aide de la meuleuse je découpe et meule afin d’arriver à un résultat légèrement plus grand que le profil théorique.

Je présente la clef… Mais avant de la lâcher dans la « serrure », j’ai quand même une petite inquiétude : « Et si elle venait à passer à travers ?! »… Mais tout se passe bien… La clef ne va cependant pas en butée sur le gabarit de la voûte : elle est trop haute de 2 cm, parce qu’elle bute quelque part sur les flancs des briques de la dernière rangée. Mais précisément, je n’en sais rien !Et je ne peux pas me permettre de la réduire au hasard ! Je vais donc employer une vieille méthode utilisée pour réaliser des ajustements précis en mécanique : je vais l’enduire de poudre de plâtre avant de la remettre en place. En disparaissant aux points de contact, cette poudre va me révéler les endroits qui bloquent, et je n’aurai plus qu’à meuler ! Comme j’y vais prudemment avec la meuleuse, je recommence deux fois l’opération et arrive à une saillie de 5 mm. Pour finir, c’est à l’aide du maillet que je peaufine son positionnement définitif.

 

Pendant toute la durée de l’usinage de cette clef, l’environnement était devenu très poussiéreux, mes cheveux blancs avaient retrouvé leur couleur rousse d’origine, le sol rappelait celui de la planète Mars… et l’espace aérien était même fermé au-dessus du Boico ! Si si ! Les sceptiques peuvent vérifier : nous étions alors le 19 avril 2010… et depuis les météorologues suivent toujours le nuage !!! Après autant de réflexion technico-mathématique, cela fait du bien de plaisanter un peu !

Maintenant, il reste à enduire le dessus de la voûte d’une couche de coulis et continuer la construction des murs extérieurs.

A ce stade d’avancement du chantier, il est nécessaire de faire une réunion de chantier avec toute l’équipe bâtisseuse. La date est fixée au 1er mai, fête du travail oblige ! Cette assemblée est constituée de toute l’équipe exception faite de deux de mes neveux (Pierre qui, le week-end, sillonne les routes dans sa voiture de rallye, et Franck, alors occupé à veiller sur une « petite Polichinelle » encore bien au chaud pour quelques jours…).

L’ordre du jour est le suivant :

– « frotte à l’ail » (morceau de pain de campagne sur la croûte duquel on frotte de l’ail avant de l’enduire de lard gras salé et cru),

– jambon du Boico et saucisson de Fontaynas (ne cherchez pas au rayon charcuterie de votre supermarché, vous ne les y trouverez pas ! Pas d’AOC pour ces produits mais plutôt une AOF, Appellation d’Origine Familiale !),

– tête de veau sauce gribiche cuisinée par ma femme Françoise selon les bons conseils de sa mère, notre mémé Léonie :

Tu vois, c’est facile à faire la  tête de veau, bien plus facile que de faire cuire un rôti !

-« caillade » fraîche (fromage blanc) fournie par Maurice avec oignons blancs du Boico,

– « cannelés » et autres pâtisseries de tatie Renée, ma soeur.

Tout ceci accompagné d’un bon vin blanc, parce que d’après mon beau-frère Georges :

Qui boit du vin blanc le 1er mai est protégé des moustiques toute l’année

La réunion se termine après deux heures d’intenses coups de fourchettes et c’est à l’unanimité que les bâtisseurs se fixent l’objectif suivant : le 1er mai 2011, le menu sera composé de produits cuits dans le four…